Iris
7.1
Iris

Série Canal+ (2024)

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Mais que se passe-t-il ? Une œuvre audiovisuelle de 2024 féministe mais pas misandre ? Qui envisage les rapports humains et amoureux autrement que par le fait de gueuler ses pronoms et de hurler à l'oppression patriarcale ? Qui ose inviter à un apaisement entre les sexes ? Qui envisage l'amour comme une attirance chimique et intellectuelle sans le parasiter par un discours politique braillard et communautariste ? Qui échappe à la censure néo-libérale bien-pensante pour tisser son propre univers de rêve et de romance ? Qui ne case pas ce que la Terre compte d'ethnies et d'identités de genre pour faire plaisir à son auditoire mondialisé ? C'est totalement illégal ; c'est pourtant une fois de plus la recette proposée par cette affreuse firme d'extrême-droite réactionnaire qu'est Canal+, la préférée des vieux fachos et le cauchemar des proto-marxistes.


Iris ne perd pas de temps pour en informer son public : la série, comme l'héroïne, se moquent comme d'une guigne des replis identitaires pseudo-progressistes de l'époque. La vague metoo lui glisse dessus ; le regard des autres tout autant. Iris essaye de se maquer avec un vieux, Iris hausse un sourcil devant la violence des rapports homme-femme dépeints à la télé, Iris rentre dans le lard des conventions sociales, car Iris est elle-même et s'en tape. Doria Tillier incarne un personnage profondément attachant, authentique, qui parle beaucoup, qui est incapable de réfréner des pensées qui nous appartiennent tous, mais en les verbalisant avec une précision que chacun d'entre nous rêverait d'avoir. Comme son personnage, Iris est une série qui avance détail après détail, qui s'attarde sur l'ordinaire, ou l'extraordinaire du quotidien. En 6 épisodes de 20 minutes environ, le show ne brosse finalement qu'une poignée de scènes, mais sa façon d'introduire ses enjeux, de les faire durer, de confronter son personnage principal aux réactions de son entourage en font une expérience quasi-sociologique, un peu à l'anglo-saxonne ; mais sans cynisme ni malaise social, plutôt en restant bien dans une forme d'indécrottable optimisme.


Mais quand bien souvent, l'optimisme (et la joie, le bonheur, etc...) sont souvent, dans une série, la garantie d'un excès de sucre rendant rapidement bouffi, Iris fait au contraire de ces émotions son atout principal. Un peu à la façon d'une Amélie Poulain moderne, la confiance rayonnante du personnage interprété par Doria Tillier illumine son propre entourage : un caviste renfrogné qui aimerait partager sa passion des vins avec une cliente avisée, une éditrice snob qui voit peut-être en elle sa jeunesse passée, un inconnu croisé dans la rue avec lequel il suffit d'échanger quelques mots d'esprit pour qu'une alchimie naisse, foudroyante, évidente. C'est déjà bien d'alchimie dont il faut parler pour décrire les prestations absolument impeccables de l'ensemble du casting, composé à parts égales de grands noms se répartissant les rôles principaux (Jeanne Balibar, François Morel, Denis Podalydès : tous, sans exception, férocement justes) et de seconds rôles nourrissant essentiellement les ressorts comiques, mais aussi parfois poétiques, de nombreuses scènes très réussies (Maël Besnard, Pascale Arbillot, Michel Masiero, Jean-Louis Barcelona, Sébastien Pouderoux, Dominique Macaire, Jean Franco, Sarah Suco, et encore des tas d'autres). La perfection de l'interprétation, la justesse tranchante du moindre dialogue fait que chaque épisode passe à une vitesse folle, sans jamais donner une impression de remplissage.


Et si Iris est au fond une série si épatante, si drôle, si émouvante, c'est parce qu'elle réussit à chaque fois à donner à ses scènes une couleur unique, qui ne sera jamais répétée dans le large nuancier d'émotions que dispensent les 6 épisodes ; tout en attribuant des textes, des attitudes d'une justesse bouleversante à chaque personnage, sans jamais les hiérarchiser dans leur importance dans le récit. Le moindre personnage qu'on voit à l'écran, même pour deux secondes, même pour une seule réplique, a une texture absolument unique, sort son texte de la façon la plus impeccable qui soit. Ces derniers étant écrits avec une acuité toute particulière, Iris bifurque dès lors de l'Amélie Poulain à la Bacri-Jaoui : on retrouve dans la série pas mal de scènes à la coloration sociologique évidente mais pas forçeuse, qui expose très clairement une forme de gouffre social entre l'héroïne et son entourage, qu'il soit amoureux, professionnel ou amical. Car Iris est aussi le récit d'une scission, celle entre une femme trop franche pour son propre bien, presque en proie à une certaine forme de trouble autistique, et un cercle social qui ne sait pas toujours très bien comment réagir à sa naïveté et à sa sincérité. Un peu comme les repas de Noël filmés chez Agnès Jaoui ou même Arnaud Desplechin, on observe la fracture s'accroître au fil d'échanges vifs et rythmés, jusqu'à assister à l'explosion, souvent puissante et naturelle. Mais à la différence de ces derniers qui versent dans une forme d'amertume, Iris reste armée d'une positivité presque va-t-en guerre qui passe étonnamment bien.


La série échappera aux reproches de feel-good trop sucré grâce à son dénouement, d'une justesse et d'une poésie à s'en fendre le cœur. On y assiste, sans trop en dire, à l'une des plus belles déclarations d'amour vues récemment dans le cinéma français. Et oui, on peut écrire cinéma français, car franchement, si ce n'était son morcèlement en épisodes, Iris aurait tout aussi bien pu sortir en salles tant sa qualité de forme et sa durée totale s'y montre adaptés. En tous cas, voilà : si on a envie de rire et de pleurer, si on a envie de voir d'excellents acteurs connus et moins connus jouer comme si leur vie en dépendait, si on a envie de se laver du neuneutisme exponentiel à haut potentiel ravageur de neurones de la majorité de la concurrence actuelle, si on a envie de voir Denis Podalydès dire des gros mots ou François Morel réciter un poème, si on a juste envie, en fait, de voir et d'écouter de beaux personnages, Iris est une série à voir. De toute urgence, s'il vous plaît.

boulingrin87
8
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le 9 déc. 2024

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Seb C.

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