"Kaamelott", c'est une affaire personnelle pour moi.
Quand j'étais petit, c'était la seule série en "live" qui trouvait grâce à mes yeux. Les deux premières saisons, depuis l'enfance, je les connais par cœur. Et pour cause, regarder ces deux saisons furent les seuls moments que j'ai passé dans les bras de mon paternel, lui vautré dans le fauteuil, moi la tête posée sur sa bedaine. J'entends encore son fou-rire pour le tout-premier épisode, "Heat", lorsque Perceval imite un loup en pleine mission de repérage. On avalait ensemble les épisodes, on se marrait, d'autres fois on se marrait pas, mais on n'a jamais vu le temps passer. "Kaamelott", c'est De Funès qui invoque du Audiard dans des décors Bretons.
La saison 3, c'est mon meilleur ami qui me l'a offert. Au départ, quand je lui en parlais, il me disait que la série ne l'avait pas convaincu étant enfant. Alors, comptez sur moi, je l'ai "converti" fissa ! Alors, on a attaqué la saison 3 ensemble, bien que je l'avais déjà entrevu plusieurs fois avant. Lancelot se barre, les décors sont beaucoup plus en extérieurs qu'avant : "Kaamelott" évolue, pour entrer dans la voie du projet multimédia. Bientôt, il sera inimaginable pour quiconque de se dire que cette série avait été conçue dans les mêmes schémas que "Caméra Café" ou "Scènes de ménage" à la base.La saison 4, nous l'avons acheté ensemble, en revendant un costume d'agriculteur à un exploitant laitier qu'on avait acheté pour un film (tout un symbole). La saison 4 était la dernière dont j'avais vu quelques épisodes avec mon père petit. Elle doit être ma préférée avec la saison 5 ; Perceval est plus attachant que jamais (son fameux monologue à la prostituée...), l'absurde de l'existence se hisse au sommet d'un fil rouge adroitement écrit, la série entière s'approfondit, mais ne se relâche jamais ni en terme de dramatique ni en terme de comique. Astier est passionné par son oeuvre, il veut lui donner la meilleure prestance possible, et si cette implication se ressent autant à travers l'écran, derrière cela devait être de la folie.
La saison 5, mon ami et moi l'avons à nouveau co-acheté, après une récupération de production des plus compliquées après la débâcle provoquée par le Covid-19. Je connaissais son attrait particulier, et cette étiquette à moitié fausse de "Kaamelott n'est plus marrant à partir de ce Livre". Ce Livre a quelque chose de fascinant : l'atmosphère hivernale est un véritable socle, un personnage dominant les forces obscures, via Méléagant qui ne se privera pas de précipiter cet univers jadis joyeusement dépressif en une ruine vouée à s'enraciner dans l'absurdité du pouvoir. Tout n'est qu'acheminement vers le vide de sens, vers l’âpre constat qu'Arthur a raté sa vie, et vers la victoire des "faibles" d'hier. Le monologue d'Arthur à la table ronde, dans le dernier épisode, est pour moi d'anthologie. Seul truc qui me chiffonne : j'ai beau trouver la musique magnifique, elle me parait un peu en dehors de l'ambiance, qui ne se veut pas vraiment héroïque ou lyrique... Mais la série s'amplifie, encore et toujours, et a le suprême honneur de faire d'Alain Chabat le meilleur souverain de l'univers Kaamelott (car conciliant et cherchant à gagner la confiance par...la confiance), et le dernier rôle à la mesure de Christian Clavier. Tout est maîtrisé, les personnages passionnants, l'ambition réellement artistique.
La dernière saison, mon ami a fini par craquer et la télécharger, pour être bien sûr qu'on soit fin prêt pour le film. Cette saison, je l'ai regardé sans lui. Je l'ai avalée en une nuit. Pas n'importe laquelle, l'avant-dernière nuit dans mon appartement d'étudiant. J'ai rompu avec mon géniteur, justement parce qu'il ne me fais plus confiance, pour des tas de raisons non dialoguées. Alors, cette saison m'avait parue comme un hommage à un père que je n'aurai pas, à des mentors que j'aurai vu passer et dont la Vie m'a séparé. En elle-même, cette genèse géante, justifiée, élève déjà la série au rang de cinéma, comme un "Game of Thrones" à la française mais qui sait ce qu'elle fait jusqu'au bout, audacieuse oui mais avec des intentions propres (se battre pour la dignité des faibles). On pourrait presque croire qu'Astier a structuré la série entière depuis le début, mais c'est évidemment impossible ; c'est dire le niveau par rapport aux autres productions télévisuelles. Le dernier épisode de cette saison écrite au cordeau et dirigée à la note près (chaque épisode est écrit comme une partition, le dernier coup de cuivres n'est pas anodin) est sans doute mon préféré de "Kaamelott". Dans l'Art, comme dans la vie, on confond beaucoup le désespoir, la mélancolie, la dépression ou le spleen. C'est normal, la limite étant très fine, et c'est pourquoi beaucoup confondent. Mais ici, je crois que c'est le seul exemple cinématographique (oui) où la dépression est parfaitement retranscrit, dans le sens le plus médical du terme, dans l'illustration pure de l’affaiblissement absolue. La réunion des personnages, qui résume toutes leurs personnalités, et la direction artistique globale (quelle photographie !), sont magistrales de grandeur. On quitte la série sur un dépressif qui redevient guerrier, à la fois par déchéance et conquête, sur une musique réadaptée du thème de "Jo" avec de Funès (sur certains épisodes, Astier est à la limite de l’imitation). On se dit que, décidément, les comédiens ont eu de quoi manger. Du caviar. Et devant cette fin, cette saison, j'ai senti plus que jamais à quel point il devenait urgent de faire table rase.
"Kaamelott", c'est une référence.
Pour le film, il est assez hallucinant que cela ait pris autant de temps à se faire. Raisons : il voulait d'abord réaliser un premier film, une question de droits avec M6, mais surtout le budget, notamment à cause du CNC. Au début, je me disais que l'ambition d'Astier pouvait effectivement exiger plusieurs années de financement. Mais je me dis aussi que si l'on compile les budgets de "Gaston Lagaffe", "Spirou et Fantasio" et "Les blagues de Totos", trois films très chers évidemment voués à l'échec, Astier aurait pu tourner son film. Je ne comprends pas bien : même en écartant toute question artistique, le film est adapté d'une série au succès peu équivalent en France, extrêmement attendu, au point que sa bande-annonce est la seule française massivement analysée sur Internet. Y'avait tout à y gagner...
"Kaamelott", c'est finalement des retrouvailles toujours recommencées, pour le public comme pour l'artiste avec son oeuvre.