Kill la Kill
7.4
Kill la Kill

Anime (mangas) MBS (2013)

«Moi, Satsuki Kiryuin, si pour réaliser mes ambitions je dois montrer ma poitrine au monde entier, ce sera sans hésitation ni honte !» En quelques minutes, Kill la Kill avance ses arguments avec fierté : un ballet furieux de jeunes filles en petite tenue qui se bastonnent avec des épées de taille démesurée. Réalisée par Hiroyuki Imaishi (déjà responsable pour le studio Gainax des allumés Gurren Lagann et Panty & Stocking), la première série du studio Trigger souffle un incroyable vent de liberté. Un élan d’autant plus salutaire que l’animation japonaise traverse une mauvaise passe, entre les doutes sur l’avenir du studio Ghibli et l’état général d’une industrie qui peine à recruter des animateurs mal payés.

Certes Kill la Kill, c’est beaucoup de violence gratuite. Des membres sont tranchés, des écoliers frits et des hectolitres de sang déversés. Mais cette appétence pour la castagne est tellement caricaturale que la portée des gestes se trouve immédiatement désamorcée. L’escalade ridicule et réjouissante des combats est aussi traumatisante que peuvent l’être les scènes de torture d’un Tom et Jerry. De toute façon, pas d’ambiguïté, cette série joue sur le terrain des adultes en piochant dans le patrimoine de John Woo, Quentin Tarantino ou Russ Meyer -difficile de ne pas voir dans le titre de la série un écho à Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !

L’autre pilier de Kill la Kill est son goût prononcé pour le nawak, le grand n’importe quoi. La série s’ouvre sur l’arrivée de la jeune Ryuko Matoi dans l’académie Honnôji, plus proche de l’établissement militaire que du lycée japonais traditionnel. Mèche rouge et rebelle devant les yeux, la petite brune s’attaque immédiatement au plus gros poisson de la cour de récré : la déléguée en chef des élèves, Satsuki Kiryuin, qui impose sa loi, martiale, en se baladant avec une épée sur le dos. Ryuko la soupçonne d’être responsable du meurtre de son père. La dictature de Satsuki repose sur la distribution aux élèves les plus «méritants» d’uniformes aux pouvoirs spéciaux, dont la puissance varie en fonction de leur nombre d’étoiles. Au-delà de l’académie, c’est tout l’ordre social des faubourgs alentour qui repose sur ces fripes, une tenue de sans-grade condamnant les gamins et leurs familles à la misère tandis qu’un costume trois étoiles assure luxe et impunité.

Grande gueule allergique à toute forme d’autorité, Ryuko Matoi dispose, pour exercer sa vengeance, d’un sabre en forme de demi-paire de ciseaux et d’une botte secrète : son uniforme, la classique tenue d’écolière japonaise (petite jupe plissée et haut de matelot), est vivant et doté d’une puissance incommensurable. Une petite transformation façon Sailor Moon, et Senketsu - oui, le costume a un nom et il parle - est prête au combat. Seul inconvénient : l’héroïne se retrouve alors largement dénudée.

En apparence ultrasexiste - on ne compte pas les gros plans sur les petites culottes, ça serait malsain -, la série donne en réalité le pouvoir aux femmes, qui semblent les seules à être dotées d’un cerveau. Peu nombreux, les hommes sont au mieux de simples assistants, au pire de sombres crétins obsédés qui ne pensent qu’à la bouffe. La plupart d’entre eux œuvrent sous le glorieux pavillon des Nudist Beach, une guérilla de «nudistes nus» dont les troupes s’activent dans le plus simple appareil (ou presque). Leur ennemi : la mère de Satsuki, soupçonnée de vouloir contrôler le monde à travers son groupe d’habillement, sorte de Gap malfaisant.

Le scénario, que l’on peut aisément qualifier de fantaisiste, repose néanmoins sur un canevas on ne peut plus rodé, celui du nekketsu : un jeune héros, de préférence orphelin et naïf (mais au cœur gros-comme-ça), doit se dépasser à chaque épisode pour réaliser son rêve/venger quelqu’un/sauver l’humanité (rayez la mention inutile). Sur son chemin, des obstacles en pagaille et des ennemis toujours plus puissants et prompts à devenir des alliés une fois terrassés. Dans le genre, les têtes d’affiche sont Dragon Ball, One Piece ou Naruto. Mais Imaishi impose au nekketsu un traitement de choc qu’il avait déjà amorcé avec Gurren Lagann. Une approche si radicale et purement visuelle qu’on se demande comment le genre va pouvoir se relever après une telle baffe graphique.

Ultra-dynamique, tout en rupture de rythmes, Kill la Kill s’amuse avec le cadre, barrant l’écran avec des cartons de texte pour scander les échanges de coups. Plus old-school qu’elle n’y paraît, la série ressuscite aussi des outils oubliés. On pense notamment au harmony cel, une technique popularisée dans les années 70-80 par Osamu Dezaki et Akio Sugino (Cobra, Rémi sans famille…) qui consiste à figer l’image pour insérer une scène crayonnée ou peinte. Une façon de sublimer l’action et, au passage, d’économiser la réalisation de certaines scènes…

Au-delà de l’action frénétique, c’est l’humour qui désarçonne chez Kill la Kill, tant il bascule d’un registre à l’autre. Imaishi joue sur la violence exagérée du burlesque façon slapstick lorsque les traditionnels clubs de lycée japonais (tennis, boxe, jardinage…) servent d’armée de réserve à Satsuki - la présidente du club de tennis se retrouvant ainsi à bombarder Ryuko de services surpuissants. Le réalisateur lorgne aussi du côté du comique de situation avec le personnage de Mako, lycéenne branchée sur du 220 mais à l’esprit étonnamment lent, qui promène sa coupe au bol et sa positive attitude d’une scène à l’autre, s’interposant au milieu de combat titanesque pour appeler à la paix dans le monde. A cela s’ajoute un humour moins immédiat, le scénario tout entier reposant largement sur les jeux de mot et les homophonies. Ainsi, le caractère désignant un «uniforme scolaire» correspond phonétiquement (seifuku) aux termes «conquête» ou «chef».

Les genres s’entrechoquent et donnent un côté enfant mal poli, limite hyperactif, incapable de se pauser deux minutes. On pourrait vanter l’amour de Kill la Kill pour la rébellion, contre la mondialisation - si, si, il y a tout ça… - ou même l’ennui. Mais c’est avant tout un objet purement graphique, un concentré de fun, d’action débile, sucrée et jouissive. Comme un ado qui se mettrait à courir les yeux bandés le long d’une ligne de crête en hurlant à tue-tête. Evidemment, si cette «japoniaisierie» tombait entre les mains d’une ligue de protection de la famille ou d’une croisée anti-Club Dorothée, il y a fort à parier qu’ils en feraient une syncope.
Marius
9
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le 8 sept. 2014

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Marius

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