En cette fin d'année 2021 - et depuis quelques mois - il est clairement devenu l'une des têtes de Turc de pas mal de mes égoconférenciers et autres éclaireurs.
A quoi la faute ?
Deux vidéos surtout.
D'abord une première sortie fin juillet au sujet du film Titane de Julia Ducournau et dont le fond comme la forme avaient quelque peu surpris de par leur relâchement au regard des standards habituels de la chaîne (ce qui avait entraîné l'ire de notre illustre Moizi), et puis une sortie plus récemment (octobre 2021) qui lançait cette fois-ci un défi à François Begaudeau, laquelle avait conduit ce cher Nox_ à pondre une critique rédigée à l'acide
[Nota : la critique de Nox_ a été malheureusement effacée par son auteur au cours du mois d'avril 2022. Dommage car on y développait très bien, notamment dans les commentaires, les points qui posaient souci à l'égard de sa vidéo sur Bégaudeau.].
Or je dois bien avouer que face à ces deux désossements en règle j'ai à chaque fois réagi en trois temps.
D'abord, avant de commencer mon visionnage / ma lecture je me disais : « Bon c'est sûr que Victor Ferry c'est pas extra ». Puis, en parcourant la diatribe, je rétro-pédalais en me rappelant que « d'un autre côté il ne faut pas pousser non plus : ce n'est pas si honteux que ça », avant de conclure – à la fin de ma lecture ou de mon visionnage – sur ce terrible bilan qu'en fin de compte, oui, il faut bien avouer qu'à bien tout prendre : « Victor Ferry en tant que contenu, c'est quand même assez indigent »...
...Et si j'ai d'ailleurs fini par me décider à rédiger ma propre critique au sujet de cette chaîne – et qu'on m'excuse par avance si j'entends aborder la question de Victor Ferry « en son entier » et non son seul Artisanat rhétorique – c'est justement dans le but de faire ici la synthèse de mon sentiment à son égard.
Parce que oui, pour moi Victor Ferry c'est un peu tout ça à la fois : du contenu pas extra, pas honteux non plus, mais tout de même un brin indigent si on prend la peine de bien le considérer d'un peu plus près.
Car dans son ensemble, qu'est ce que Victor Ferry en tant que contenu ?
C'est une chaîne lancée en 2013 et qui compte au moment de la rédaction de cette critique plus de 170 vidéos. [Précision apportée par Victor Ferry lui-même dans une vidéo-réponse : la chaîne a bien été ouverte en 2013 mais elle n'a été alimentée en vidéos qu'à partir de 2017]. L'homme se dit docteur en rhétorique [Autre précision apportée dans une autre vidéo-réponse : il est en fait docteur en Langues et Lettres] et il entend – via son atelier « artisanal » ou sa chaîne principale – nous livrer son approche de l'art du discours.
Chaque vidéo dure généralement entre 5 et 10 minutes [autre correctif apporté par Victor Ferry lui-même (et à raison) : on est davantage sur un format qui oscille globalement sur une amplitude entre 10 et 20 minutes] et j'ai souvenir que lorsque je suis tombé dessus par le plus grand des hasards algorithmiques, j'y ai trouvé là une belle source de distraction et de curiosité.
Parce qu'on ne pourra pas lui retirer ça : le Victor Ferry parle bien.
Au-delà des mots choisis, c'est toute la structure et le rythme de son propos qu'il sait enchainer avec efficacité et avec soin. Tout est pensé autour d'une idée centrale qui sera ensuite développée autour d'un (ou de plusieurs) exemple(s) précis.
D'abord une amorce qui intrigue, l'extrait qui confirme, puis l'analyse émaillée d'illustrations qui permet d'aboutir à « l'enseignement du jour ».
Clair, net et précis : c'est bien ainsi que j'ai tout d'abord appréhendé le Victor Ferry.
Malgré tout l'efficacité du format n'en cachait pas néanmoins – et déjà – toutes les limites de ce genre de production.
Au fond tout ça restait bien superficiel – de l'ordre de l'aperçu voire de la distraction – ce qui pouvait ainsi rendre la pratique de la rhétorique globalement inexplorée...
...Mais bon, pouvait-on seulement s'en étonner au regard d'une forme qui semblait davantage viser la pastille émoustillante plutôt que la conférence exhaustive ?
Donc oui, de ce point de vue - et cela avant même d'aborder les contenus de ses contempteurs - je ne pouvais que reconnaitre que « Victor Ferry, en soi, ce n'est pas extra. »
Seulement voilà, « pas extra» certes, mais « pas honteux » non plus.
C'est en tout cas ce que je me suis dit sitôt j'ai vu qu'on tirait à boulets rouges sur le contenu de ce type-là. Car si j'entendais parfaitement que les deux vidéos visées étaient particulièrement indigentes, je trouvais que ça ne devait pas pour autant nous faire perdre tout discernement sur ce qui constituait l'ensemble de sa production.
Alors pourtant c'est vrai que le bonhomme a des allures suffisantes et qu'en conséquence il est tentant de lui en foutre plein la gueule sitôt raconte-t-il de la merde.
Néanmoins on ne peut pas en vouloir non plus à un rhéteur d'aller chercher à avoir un minimum de prestance. Et puis d'autre part je considère que sur la vaste gamme d'influenceur en tout genre, Victor Ferry sort tout de même du lot par le haut.
Qu'on soit d'accord ou pas avec son propos, il a au moins le mérite d'une certaine cohérence.
De même, ces ateliers d' artisanat rhétorique dans lesquels il se permet de solliciter ses lecteurs pour « optimiser » leurs productions est de mon point de vue une belle illustration pratique de l'intérêt de bonnes méthodes rhétoriques.
Et puis enfin, qu'on trouve ses pastilles insuffisantes c'est une chose, mais reconnaissons leur au moins ce mérite de savoir parfois mettre en lumière quelques concepts obscurs du grand public (comme le Dissoi Logoi, l'ethos ou bien encore le principe des preuves intra- et extratechniques par exemple), voire d'autres fois de faire connaitre quelques figures exotiques peu connues en France, comme certains hommes politiques belges ou québécois hauts en couleurs...
Encore une fois, pour peu qu'on sache les prendre pour ce qu'elles sont, ces pastilles ne sont donc pas vilaines en elles-mêmes.
Mais bon...
Dire que Victor Ferry doit être pris dans sa globalité – l'homme comme la chaîne – pour être convenablement évalué, ça marche dans les deux sens ; pour le pire comme pour le meilleur.
Or c'est également vrai qu'on ne peut pas retirer aux détracteurs du bon Victor que ses deux fameuses vidéos sur Titane comme sur Bégaudeau étaient bien merdiques, et que - malheureusement pour lui - elles révèlent elles aussi une autre facette du personnage et de son contenu.
A ce sujet, je ne vais pas revenir sur le fond de ce qui a été dit par Moizi et par Nox_ car je m'y retrouve pour l'essentiel.
Car oui, j'adhère à la critique que Moizi fait à l'encontre de Victor Ferry quand il lui reproche de ne voir dans l'art qu'une pratique visant à sublimer cette beauté qu'il suffirait d'aller piocher telle une évidence dans la nature [...Et à ce sujet j'invite Victor Ferry à revoir d'une part sa vidéo sur Titane et d'autre part sa vidéo-réponse faite à Moizi, histoire de prendre conscience d'à quel point les démonstrations du vidéaste guyanais – la première comme la seconde – produisent à son encontre une argumentation cohérente et valide qu'il ne me semble personnellement pas nécessaire de commenter davantage.]
De même que, oui, je suis aussi d'accord avec Nox_ quand il reproche au même Ferry cette idée selon laquelle on pourrait discuter du langage comme d'un simple package marketing dissocié de tout fond.
Parce qu'en effet, le langage au-delà du bon mot est aussi une articulation logique dont il convient de savoir identifier soit les axiomes soit les sophismes.
Or de ça – justement – Victor Ferry ne veut surtout pas en parler.
Ni de sophisme, ni de logique (du moins plus dans ses récentes vidéos), ni de déterminant culturel pour expliquer ce qui peut être constitutif de la beauté en art, voire de l'art tout court.
Et la raison à tout cela est au fond bien simple et elle tient en un mot que Moizi et Nox_ ont fini par mobiliser tous les deux pour décrire la mécanique de pensée, de parlé et d'action de Victor Ferry...
...Et ce mot c'est bourgeois.
Au fond il n'y a rien d’étonnant à ce que ce soit sur ces deux vidéos que l'ami Ferry se soit fait étrillé, car c'est sur ces deux vidéos que l'ami Ferry a fait ce qu'il prétendait pourtant ne jamais faire : il s'est positionné.
Et non seulement il s'est positionné politiquement, mais il s'est en plus positionné sociologiquement et idéologiquement ; deux mots que Victor Ferry réprouve sûrement parce qu'ils permettent de faire justement ce qu'un homme dans son genre exècre au plus haut point : être situé.
Que Bégaudeau ait été ciblé par Ferry lors de sa première vidéo de clash ne doit finalement rien au hasard (pas plus que lorsque Viktorovitch a été ciblé dans la troisième, on en reparlera), car Bégaudeau est justement celui qui met en boîte Ferry dans ce mode de pensée et ce système de domination sociale qu'est la bourgeoisie.
User de ce mot n'a rien de péjoratif, entendons-nous bien. Il traduit juste une condition dont peut découler un mode de pensée spécifique qu'on pourrait qualifier de conservatisme.
Un bourgeois conservateur ne questionne jamais l'ordre établi en tant que structure parce que celui-ci lui va très bien.
Le beau est beau par nature et ne se questionne pas.
Le langage n'est là que pour sublimer les idées et lui non plus ne se questionne d'ailleurs pas ; du moins pas en profondeur.
Parler ne sert qu'à mettre en valeur ce qu'on sait déjà et non à penser.
Le débat n'est pas là pour faire émerger des mensonges et des vérités, démontrer des théories ou démonter des sophismes. Non, il est juste un jeu élégant au service de rapports de force qui ne sont pas à questionner.
Pas étonnant que Victor conspue autant Clément. Quand le rhéteur de Clique puis de France Info cherche à user du langage pour questionner les idées et les mécaniques de pensée qui les animent, Ferry n'aspire quant à lui à ne faire du langage qu'un trait d'esthète superficiel ; quelque chose qui soit inopérant politiquement et seulement exploitable commercialement.
Le seul but – du propre aveu de Ferry lui-même – c'est de « se vendre ».
Car telle est aussi - et surtout - la réalité de ce Victor Ferry, contenu comme contenant.
Ferry n'est qu'un marketeux. Il n'est là que pour vendre sa came et se vendre avec au passage.
D'ailleurs n'oublions pas qu'avant d'être un atelier d'artisanat rhétorique, la marque Victor Ferry a commencé à vendre des avis littéraires avant de basculer vers l'analyse rhétorique pour se transformer maintenant en usine qui vise à faire feu de tout bois pour attirer les chalands jusqu'à son étal où il a soigneusement disposé sa formation payante de coach en développement.
En cela Victor Ferry est un bourgeois jusqu'à l'os, et le récent développement de ses « dramas productifs » démontre bien que l'homme-boutique ne s'interdit absolument rien pour faire du clic, quitte à tomber dans les pratiques les plus putassières.
Et que Ferry drape ses clashs d'une distanciation sarcastique n'y change au fond pas grand-chose. Le type est prêt à tout pour attirer à lui une communauté qu'il espérera par la suite transformer en clientèle.
...Du business jusqu'au bout avec pour seule justification le capitalisme.
Alors non, que ça lui plaise ou pas, Ferry n'y échappera pas. Dans une société chacun occupe une place, y compris dans le monde des idées.
Et prétendre qu'on ne défend pas d'idée particulière - qu'on n'est « ni de gauche, ni de droite » ou « et de droite et de gauche » - ça aussi c'est occuper une place dans le monde des idées.
D'ailleurs, s'imaginer qu'une telle orientation n'aurait aucune incidence sur l'ensemble du contenu du loustic serait se fourvoyer grandement.
Il n'y a pas de hasard à ce que les orateurs loués soient surtout les De Gaulle, Tapie et Thatcher quand les Robespierre ne sont reconnus que pour leur habile fourberie. Pas plus de hasard non plus quand les discours les plus encensés sont surtout ceux qui ont des vertus épidictiques ; à comprendre ceux qui savent rappeler au calme, à l'ordre et aux fondamentaux. Ainsi les beaux discours sont ceux où Macron encense Napoléon, où Elizabeth II encense l'unité de la Nation face à la Covid, ou quand Mélenchon encense Beltrame face à la barbarie...
Choisir ses orateurs à droite comme à gauche ne change rien à l'affaire quand tous ne parlent qu'au service du beau conservatisme et de la pittoresque contestation.
Tout ça produit un discours malgré soi. Et il n'y a au fond pas de hasard à ce que ce bon Victor ait été convié à un long entretien par un des plus illustres représentants de la presse conservatrice du Web - j'ai nommé Livre noir - là où certes Bégaudeau s'est certes aussi rendu, mais pas exclusivement.
Alors oui, d'accord pour dire que les pastilles de ce bon Victor Ferry savent être distrayantes, mais le problème c'est qu'elles nous distraient aussi régulièrement de l'essentiel : la pensée.
Car, non, mon cher Victor, il ne suffit pas de tacler les Bégaudeau, Viktoro et autres Papacito sur de simples postures et concepts inventés, pour que soudainement tu puisses ramener tout ce petit monde à égalité.
D'un côté il y a ceux qui pensent et de l'autre il y a ceux qui parlent,
D'un côté les éveilleurs de conscience et de l'autre les pitres de l'oral.
Alors si, à l'avenir, mon cher Victor, tu veux déployer tes ailes,
Sache que les marchands ont toujours tort, et que seules les pensées sont éternelles.