Une fois les quatre saisons bouclées, un seul véritable regret subsiste. Si cette adaptation de K. Dick était vraiment un projet casse-gueule et qu'elle a su brillamment prendre à bras-le-corps toute la complexité thématique et visuelle qu'elle induisait, il n'y a qu'un élément qui l'empêche d'atteindre une certaine grâce. Cet élément, c'est à la fois pas grand chose, mais il fait tout : la mise en scène.
Et oui, TMITHC s'applique à démontrer qu'il y a de l'humanité chez tout Homme (même les pires) et dresse des portraits toujours fouillés d'individus en perpétuel conflit avec eux-mêmes. Ce rapport à l'individu était loin d'être gagné, parce que la narration se déroule à l'échelle d'un pays occupé dont on veut montrer les rouages, la politique et la métamorphose.
Il y a donc ces plans sur New York qui glacent le sang, où le drapeau Nazi virevolte un peu partout et où l'imagerie colorée du capitalisme américain des trente glorieuses n'existe pas. Les décors sont crédibles et renversants. le travail de "reconstitution" fonctionne grâce à ces jeux d'échelles, des plans aériens sur les villes au plus petit accessoire imaginé pour coller à une Amérique nazie des 60's. Au-delà de la technique, il y a visiblement eu une réflexion approfondie sur la création de ce monde uchronique et sur les moyens de le rendre tangible. Cela fonctionne terriblement bien.
L'ambition de l'oeuvre ne s'arrête pas là, car il y a cette idée de multi-verse (où les bobines de film ont remplacé les romans par rapport à l'oeuvre originale). Là encore, les choix scénaristiques sont pertinents; ces univers parallèles forment la trame globale mais n'accaparent pas trop les plus petits enjeux en restant un vague mystère pendant une majeure partie de la série. Lors des quelques voyages inter-dimensionnels vers notre monde, il est bien vu de ne pas simplement montrer une Amérique idéalisée. A travers les yeux des protagonistes, la série va pointer du doigt les démons bien réels qui ont forgé les USA (ségrégation, bombe nucléaire, guerre du Vietnam...).
A bien des niveaux, TMITHC se révèle nuancée, inattendue et passionnante. Les acteurs, tous excellents, portent brillamment les enjeux et distillent moultes émotions tout au long du show. Le magnétique Rufus Sewell nous prouve qu'il est définitivement trop rare et son personnage d'Obergruppenführer à lui seul symbolise toute la noirceur et l’ambivalence de cette série.
Voilà pourquoi je reste sur ma faim en ce qui concerne la réalisation. Le curseur a été placé sur une sobriété que j'identifie plus comme un besoin d'efficacité télévisuel qu'un classicisme voulu. On est donc sur des plans (majoritairement) à hauteur d'homme, en champs-contre-champs, sur pied ou via quelques rares travellings. Une mise en scène soap des plus fonctionnelles qui jamais n'ira expérimenter ou chercher une certaine poésie et du non-dit. Alors oui, vous me direz qu'il y a à manger côté scénario et visuel... et c'est vrai. Mais la mise en scène se contente ici de rendre tout ça lisible alors qu'elle aurait pu magnifier ses matériaux en prenant quelques risques créatifs.
Du reste, j'ai quand même là une de mes plus grosses claques sérielles. Une grande épopée qui fait réfléchir grâce à ses personnages et ses concepts, cauchemarder à travers son univers rétro-futuriste minutieux... et il montre qu'au bout du tunnel, il y a toujours de la lumière.