La preuve qu'on peut produire une mini-série remarquable sans véritable originalité ni innovation, en s'appuyant seulement sur un excellent script et un usage pertinent des ressorts classiques du genre.
Comme une foultitude de séries avant elle, "Mare of Easttown" mêle en effet polar et drama dans une enquête au cœur d'une petite communauté. On pense à "Broadchurch", à "Twin Peaks" ou à "La trêve", pour ne citer que les meilleures.
Or si cette formule a été autant reprise, c'est qu'elle fonctionne, à condition de proposer des personnages humains et attachants, une intrigue policière bien ficelée (complexe tout en restant crédible), et d'éviter certains écueils (notamment la fameuse structure narrative 1 épisode - 1 suspect, complètement éculée).
La principale plus-value de "Mare of Easttown" se nomme Kate Winslet, également productrice exécutive, qui compose une héroïne authentique et attachiante, ancienne gloire locale du basket devenue policière, qui se débat avec ses problématiques intimes et familiales depuis le suicide de son fils.
Masculine et peu apprêtée, dotée d'un caractère rude et entier, mais non dénuée de second degré, Winslet se rapproche à mon avis de sa vraie nature filmique (à mes yeux, les rôles de jeunes premières éthérées ne lui correspondaient pas à l'époque).
Autour de cette héroïne en souffrance, le scénariste Brad Inglesby esquisse avec brio toute une communauté issue de la classe moyenne américaine, particulièrement juste et bien écrite, de la grand-mère funky au sale caractère (Jean Smart) à la fille lesbienne qui chante dans un rock band (Angourie Rice), en passant par la meilleure copine sympa (Julianne Nicholson), le collègue de travail plus jeune (Evan Peters), ou encore le love interest vieillissant (Guy Pearce).
Tous ces personnages se croisent dans les rues d'Easttown, une petite bourgade de Pennsylvanie où il fait bon vivre (la série ne manque pas d'humour), bien que la ville ne soit pas épargnée par les maux actuels (chômage, délinquance, prostitution, cancer...).
C'est même l'une des rares critiques que l'on pourra formuler à l'encontre de "Mare of Easttown" : cette propension à faire s'amonceler tous les malheurs du monde sur une si petite collectivité en aussi peu de temps. Mais le traitement reste assez sobre pour qu'on ne s'en formalise pas trop, après tout cela reste une fiction.
D'autant que l'autre grande force de la série, c'est évidemment son aptitude à divertir et à captiver sur le plan du thriller, avec un cliffhanger efficace à la fin de chaque épisode, et plusieurs parti-pris judicieux qui la distinguent du tout-venant :
- pas de remplissage : un format court et percutant, 7 épisodes et basta, tant pis si ce n'est pas un chiffre rond.
- contrairement à la concurrence, on ne commence pas par la découverte d'un cadavre (la scène est repoussée en fin d'épisode) : du coup, le pilote est consacré à présenter efficacement les personnages, l'impact n'en étant que plus fort lorsque l'un d'entre eux est assassiné.
- le suspense est maintenu jusqu'à la fin du dernier épisode, qui réserve un ultime twist surprenant.
- très peu de pathos, au contraire la sobriété est de mise, y compris dans les moments les plus dramatiques (la fin de l'épisode 5, hyper tendue).
Malgré son classicisme et certains rebondissements un brin artificiels, "Mare of Easttown" est donc la belle réussite de ce printemps : un polar social remarquable, et le portrait touchant d'une femme complexe et authentique.
Merci HBO, qui renoue avec ses grandes heures le temps de sept épisodes mémorables.