Cette critique est "duale", c'est à dire que je vais me référer, parfois, au manga (lu jusqu'au chapitre 27), pour parler de l'animé. Situation de l'intrigue au chapitre 27 :
Le chapitre 27 correspond au moment où Nezumi et Shion arrivent devant Safu, devenue Elyurias.
Pour moi, No.6 fait partie de ces animés à la fois surestimés et sous-estimé, de ceux dont on dit fréquemment << tout ou rien. >> Et effectivement, si j'avais été extrêmement enthousiasmée après mon premier visionnage de l’œuvre, courant 2013, le revisionnage, accompagné de la lecture du manga, m'a plus largement permis de voir à quel point l'animé est un potentiel manqué. Potentiel manqué, donc, oui ; mais il y a une légère différence entre un animé décevant et un animé mauvais.
Pour un exemple d'animé qui n'a ni potentiel, ni même raison d'exister, la porte est ouverte.
Bien, donc, abordons tout de suite un point qui semble poser problème à pas mal de personnes ayant visionné l'animé.
Dire que l'animé n'est pas une source de fantasme yaoi (évidemment sur les deux protagonistes principaux) serait assez difficile en restant de bonne foi, notamment à cause de ça, et de ça. Néanmoins, il y a une différence assez nette entre la façon dont laquelle un animé est construit, et la manière dont il est perçu. Et No.6 n'est pas, selon moi, construit de façon à être réellement une love story et une histoire d'amour homosexuelle clairement exacerbée. D'accord, il y a deux baisers, une ou deux scènes qui tendent à nous rejouer Romeo et Juliette, mais ça reste quand même très platonique, tout ça. Je suis à peu près sure que les relations entre les personnages auraient été moins polémiques si Shion avait été pourvu de seins et d'un organe génital féminin.
Un petit baiser de love story pur. Et oui, l'animé a, en passant, violé mon âme.
Donc, pour moi, non, l'histoire d'amour n'est pas dérangeante. Elle enrichit même l'histoire, principalement parce qu'elle force Nezumi à remettre en doute ses principes, et qu'elle montre aussi une facette de sa personnalité qui n'est jamais dit tacitement : il prend parfois des décisions sans paraître en admettre les conséquences (on ne me fera pas sérieusement croire qu'il n'avait aucune arrière pensée en sauvant Shion). Et elle n'est pas non plus incohérente. Il faut bien comprendre tout ce que Nezumi représente pour Shion : sa première réelle, et seule issue de secours qui lui permet de s'échapper d'un monde dans lequel il n'aurait de toute façon pas été à sa place. Nezumi est une figure de nouveauté qu'il apprendra à connaître, à désacraliser, et oui, à aimer.
Un petit mot, en passant, concernant les relations entre Safu, Nezumi et Shion.
Il n'y a JAMAIS eu de triangle amoureux. De ce qui est montré, autant dans l'animé que dans le manga, Shion semble n'éprouver des sentiments que pour Nezumi, et Nezumi pour Shion. Safu est coincée dans la friendzone, et aucun détail n'indique le contraire, donc.
Puisqu'on vient de parler des relations amoureuses entre les personnages, on devrait maintenant parler... des personnages en eux-même. (oui, je sais, cet ordre est d'une logique imparable). Sur ce côté, je trouve No.6 très mitigé. Autant certains personnages sont assez intéressants et bien traités, autant d'autres... Aïe.
♦ Shion. Je suis mitigée concernant son adaptation par rapport au manga. Pour moi, Shion est un personnage assez agaçant, et c'est d'autant plus frustrant qu'il est l'un des deux personnages principaux. Il lui manque un côté un peu plus malicieux qu'il possède dans le manga. Sa "naiveté" ne me dérange pas, car, pour moi, il joue davantage un rôle "gentil" parce qu'il suit des idéaux nobles, que parce qu'il ne connait absolument rien du monde.
Si Shion avait réellement été naïf jusqu'au bout, il n'aurait pas été capable de suivre Nezumi dans le centre pénitencier, ni même de participer à la capture de l'homme, avec Rikiga, qui leur donnera les plans du dit centre. Pour moi, il est humble, mais largement plus courageux et intéressant que ce qu'il montre en apparence.
♦ Nezumi. Son histoire est légèrement clichée, mais je trouve le personnage, en lui-même, intéressant. Il correspond au stéréotype de la personne qui a vécu une partie de sa vie sans jamais se sentir en sécurité, et cherche à survivre par-dessus tout. Son évolution vis à vis de Shion est intéressante, car il prend le risque de le sauver tout en sachant ce que cela va lui coûter ; Nezumi, plus qu'un personnage, est une fatalité, mais une fatalité qui est ambiguë, et pas forcément négative. Et je trouve cet aspect intéressant. Nezumi possède un côté fragile, mais très tacite.
Mais bordel, "Je suis le dernier survivant d'un peuple mort sous mes yeux", ça craint. TT
♦ Safu. Safu est, pour moi, le gros point noir de l'animé. Elle accumule la quasi totalité des scènes pathétiques de l'animé, est assez inintéressante, mais aussi assez fausse : elle semble éprouver des difficultés à exprimer clairement ce qu'elle veut, alors même qu'elle étudie le comportement humain, et selon moi, ça véhicule deux idées : une intéressante (étudier ne signifie pas comprendre) et une beaucoup plus stéréotypée (le savoir nous distance forcément des autres êtres humains). En tout cas, c'est comme cela que je l’interprète. Et c'est d'autant plus dommage que Safu est la protagoniste féminine principale.
Pour un bon exemple, je vous renvoie à cette scène juste... hilarante.
♦ Karan. La mère de Shion. Ce personnage me gêne. D'une part, il est assez bien décrit et cohérent (l'amour et la peine d'une mère qui croit perdre son fils), et d'autre part, il me semble symboliser, assez maladroitement, la dégradation de No.6, son déclin. Karan est un personnage à la fois utile, et... un peu trop grossièrement utilisé pour faire avancer l'intrigue.
♦ Inukashi. Pas grand chose à en dire, en fait. Personnage plutôt bien campé mais pas non plus extraordinaire, qui aide beaucoup à donner à l'animé un esprit quasi poétique et contemplatif. [J'en parle plus bas, avec le rythme.]
♦ Rikiga. Un beau cliché à lui tout seul, il est de ce genre de personnages un peu faciles dont il est très facile de se moquer. Un peu ridicule, il donne un ton à la fois grave et léger à certains moments, et je trouve cette ambivalence bienvenue.
En somme, les personnages sont, selon moi, assez bien décrits, et surtout, échappent la plupart du temps à un pathos pourtant difficilement évitable, à une exception près que je vais évoquer ci-dessous : la fin.
L'intrigue de l'animé est une dystopie plutôt classique : une ville, supportée par ses élites, créé une illusion d'utopie et de bonheur, manifestement en contrôlant les médias, en rejetant ses éléments indésirables et en contrôlant les autres éléments pour qu'ils ne deviennent pas, justement, indésirable. L'animé aborde donc les thèmes d'une dystopie d'une manière pas vraiment originale, mais plutôt cohérente et pertinente : l'utilisation de la masse et des médias, le système utilisé pour cacher les véritables défauts de la société...
Le seul détail qui me gênait vraiment était l'utilisation d'un pathos excessif et d'explications qui dédramatisait les "mauvaises actions" des personnes au pouvoir ; et, si je le ressentais déjà dans l'animé, je vais expliquer plus précisément pourquoi en me basant sur le manga, car il m'a permis de mettre en exergue ce que No.6 aurait pu être mais n'est finalement pas.
Tout concerne, en fait, l'histoire de Safu.
L'animé s'ouvre sur une scène qui n'existe pas dans le manga : Shion et Safu rendent visite à la grand mère de cette dernière, qui est une vieille dame à l'apparence gentille, un peu sénile, et donne à Shion un pull qu'elle a tricoté, semblable à celui qu'elle a tricoté pour Safu. La scène est relativement inutile, mais permet l'enclenchement de toute une mécanique qui va largement atténuer la pertinence et l'impact de l'intrigue.
En effet, dans le manga comme dans l'animé, les Elites de la ville essayent de trouver un réceptacle à Elyurias (je trouve les raisons floues, mais c'est probablement pour obtenir son pouvoir). Sauf que les raisons pour lesquelles ils choisissent Safu comme réceptacles sont différentes entre l'animé et le manga. Safu, qui fait ses études à l'étranger, revient à No.6 après le décès de sa grand mère. Dans le manga, elle est capturée car ses résultats à tous les tests sont excellents, et qu'elle serait simplement une personne idéale pour tous les tests. Dans l'animé, au contraire, toute une série de scènes sont ajoutées pour montrer qu'elle doute de No.6 suite à la mort suspecte de sa grand mère ; elle devient une personne gênant utilisée comme réceptacle, autant parce qu'elle est une élite que parce qu'elle risque de poser problème. De plus, il semblerait qu'elle soit capable d'entendre la voix d'Elyurias, ce qui justifie que les meneurs des recherches la choisissent.
Cet aspect détruit le pouvoir des dirigeants de la ville, et une partie de l'aspect dystopique : il est, en effet, bien plus terrifiant de se retrouver enfermé dans une ville qui peut décider de faire disparaitre n'importe qui à n'importe quel moment, que dans une société totalement rationnelle ; la folie de No.6 lui donne un aspect plus sérieux et terrifiant.
Enfin, dernier point modifié entre l'animé et le manga : le bracelet électronique qui, dans l'animé, permet aux personnes de communiquer entre elles, est une sorte de tablette. La tablette est selon moi, plus crédible, car il serait tout de même difficile de nous imposer, dans un futur proche, de porter tous les jours un bracelet avec notre ID.
Je vais tenter d'expliquer pourquoi, en plus d'être décevante, cette fin m'a sérieusement donné envie de prendre un avion pour le Japon et d'aller meurtrir les parties intimes du réalisateur. Je ne sais pas si cette même fin est reprise dans le manga (auquel cas, il faudrait que je pense aussi à meurtrir les parties intimes de l'auteur).
Version sans spoiler. La fin utilise deux Deus Ex-Machina. Le premier pour provoquer une situation tragique assez difficile, et le deuxième, pour dénouer cette situation tragique. Dès lors, on se retrouve avec une fin incohérente, totalement transparente, qui détruit la moitié des valeurs transmises par le manga, dénature les personnages, et le tout avec la subtilité d'un pachyderme. Conclusion : c'est nul. Vraiment nul. Et la fin ajoute juste un pathos et une dimension pseudo-mystique dont on se serait, finalement, bien passé.
Version avec spoiler.
Pour résumer : Shion se prend une balle, manifestement en plein coeur, et meurt, tandis que Nezumi est gravement blessé. Nezumi abandonne aux côtés du corps de son petit-ami-on-ne-sait-pas-trop et est prêt à accepter la mort, lorsque Elyurias lui redonne vie et soigne leurs blessures.
Ben... Non, Non et non. Premièrement, la balle qui tue Shion était prévisible, mais improbable (il ne devrait plus y avoir de gardes dans le bâtiment depuis belle lurette). Deuxièmement, ça se sentait à des kilomètres à la ronde : la caméra insiste pendant au moins quinze secondes sur le visage de Nezumi, c'est juste impossible de ne rien voir venir. Troisièmement, cette fin dénature totalement le caractère de Nezumi. Rappelez-vous, cet homme, c'est celui qui fait passer la survie à tout prix. Alors oui, on pourrait se dire qu'il n'est pas un lâche, qu'il veut rester auprès de celui qu'il a aimé... mais Nezu me semble plus pragmatique que ça. Et on pourrait aussi dire que c'est une belle histoire d'amour, que Nezumi a appris à s'ouvrir aux autres... mais en l’occurrence, ce serait plus un amour négatif, puisqu'il se laisserait mourir pour lui. Bref, dénaturation et impasse. Quatrièmement, ça fait du gros pathos fangirl pas beau. Cinquièmement, si cette fin est juste là pour montrer le divin pouvoir d'Elyurias... Elle rajoute seulement un côté manichéen à l'histoire, en faisant de la déesse la gentille divinité qui a survécu aux méchants de No.6, et récompense Nezumi parce qu'elle est vraiment puissante. Bref, hors sujet.
Pour moi, le character design est réussi, relativement fidèle au manga même si un peu moins bon. Il y a tout de même, parfois, des plans larges ratés et qui rendent difficiles la situation dans l'espace, et l'identification des lieux. Un bon exemple est, selon moi, la représentation du quartier ouest : il est, véritablement, difficile de saisir à la fois sa situation par rapport à la ville et son ampleur géographique.
Le character design des personnages, plutôt réussi et réaliste.
Dernier point sur le rythme. J'ai aussi lu pas mal de critiques concernant le rythme, qui serait prétendument trop lent pour un animé seulement composé d'onze épisodes. Me concernant, je ne l'ai pas trouvé dérangeant, et je n'ai pas trouvé non plus de scènes "inutiles." L'animé se concentre davantage sur ses personnages et sur un côté contemplatif que sur l'intrigue, qui est assez classique. Il mêle - et c'est, à ma connaissance, une idée plutôt innovante - une vie très quotidienne et une destinée extraordinaire, ce qui permet vraiment d'explorer toutes les facettes des personnages. Pour moi, le rythme est un point fort de l'animé.
Ça nous montre que Nezumi n'est pas seulement un résistant rebelle endurci par des années dans les rues, mais aussi un homme de littérature et de théâtre ; que Shion n'est pas seulement un génie, survivant miraculeux des abeilles parasites, mais aussi un grand naïf ; l'intelligence ne remplace pas l'expérience de vie qu'il n'a pas. On retrouve ça notamment dans des scènes telles celles avec la prostituée, ou avec Rikiga.
En somme
[Le titre est assez gros, là ?]
Je conseille davantage la lecture du manga que le visionnage de l'animé, mais l'animé a un avantage indéniable : il est terminé, alors que, même en cherchant à lire le manga en ligne, seuls 7 des 9 tomes sont traduits. Néanmoins, l'animé me semble rester une œuvre intéressante, bien produite malgré ses défauts, et dont le format court le rend accessible à, à peu près, n'importe qui. Et il me semble important, pour le découvrir, de ne pas simplement le regarder en se contentant d'étudier les apparences, mais aussi, et surtout, de tenter de gratter sous la couche de vernis parfois un peu trop épaisse qui entoure les personnages.
Si vous auriez aimé, après le visionnage, que l'univers autour de No.6 soit un peu plus développé, je vous conseille une fanfiction (même pas honte), publiée sur fanfiction.net, en français ; elle est, à ma connaissance, encore en cours, compte plus de 148 000 mots. Et surtout, elle développe à la fin l'histoire d'amour entre nos deux protagonistes principaux, mais aussi la politique économique et diplomatique de No.6 après la fin de l'animé.
Elle s'appelle N6 épilogue, je vous invite à jeter un oeil.
Enfin, pour altérer un peu la sévérité de ma critique, je vous laisse sur une dernière image, si vous avez eu le courage de lire jusque là : CADEAU.