Il y a quelques années sévissait le phénomène Stranger Things, à coups de marketing massif, de pub grandeur nature, de bornes d'arcade à Saint-Lazare et autres bandes-annonces au cinéma. J'ai tenu une saison en m'ennuyant à moitié, me suis désabonné de Netflix au début de la deuxième, et regarde depuis d'un oeil distrait les dernières sorties de leur catalogue, dans l'espoir vain qu'une nouvelle série de chez eux me fasse suffisamment de l'oeil (il y en a certes eu une ou deux). Et voilà que quelques années plus tard débarque une sorte de version française du rouleau compresseur américain des années 2017 qui avait fini par tant me décevoir. Je n'en attendais donc pas grand chose, jusqu'à ce que je réalise que la série était pilotée par Antony Cordier, cinéaste relativement aguerri qui a récemment sorti le très inhabituel Gaspard va au mariage (mis en musique par le même Thylacine).
Qu'est-ce qu'OVNI(s) ? Pas facile à dire. En réalité, le limiter à un pastiche national de Strangers Things n'est pas lui rendre justice. Il en partage évidemment la nostalgie eighties (ou ici, seventies), la fascination envers le paranormal, mais ça s'arrête là. OVNI(s) se rapproche aussi d'OSS 117 (vaguement), du Spielberg de Rencontres du troisième type (un peu, mais pas trop), et surtout il se rapproche de l'univers d'Antony Cordier, ce qui est au fond le plus beau compliment qu'on puisse lui faire. Gaspard va au mariage, c'était une comédie douce-amère sur fond de romance impossible, de regret du temps qui s'écoule, et de l'espoir que chacun porte en soi pour se construire un futur meilleur. On retrouve les mêmes ingrédients dans sa série, qui s'empare d'un scénario pourtant écrit par d'autres pour proposer une oeuvre à la croisée des genres, qui appartient à la fois à la science-fiction, à la "rom-com", et au drame français plus classique. On y suit les aventures fantasmées des membres du très réel GEIPAN (Groupe d'Etudes et d'Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non Identifiés), antenne officielle du Centre national d'études spatial, qui enquêtent sur une suspicion d'activités extraterrestre au coeur de la campagne française de la fin des années 70.
Ce qui différencie fondamentalement OVNI(s) de la plupart des séries contemporaines en tête de gondole, c'est qu'elle tente de faire de l'art. Pas simplement une série de cliffhangers (il y en a pourtant, et des bons), ou un empilement de retournements de situation passionants étudiés pour garder captif son spectateur (il y en a aussi, tout aussi efficaces). Par-dessus le cahier des charges obligé du bon feuilleton contemporain, il y a surtout une vision d'auteur qui donne une personnalité unique à la série, qui vogue entre les tonalités avec aisance. Il y a une mise en scène sophistiquée, qui respecte les codes de la science-fiction, voire du thriller, en les mêlant aux enjeux plus intimes déjà observés dans le cinéma de Cordier. Cela donne déjà un divertissement de premier choix, parce que vraiment, l'histoire de l'enquête sur ces OVNIS est très bien menée et jouit d'un scénario impeccablement écrit du premier au dernier épisode. Mais cela donne aussi une sorte de comédie dramatique au ton ultra-juste, tantôt hilarante, tantôt très mélancolique, souvent les deux en même temps.
OVNI(s), c'est une histoire d'alchimie. Outre la réalisation de Cordier qui réussit à faire naître en même temps le rire, l'empathie et une certaine forme de doux regret face aux dilemmes qui tiraillent les personnages, il y a les acteurs, tous formidables sans exception, il y a l'image, très lumineuse et douce, il y a la musique électro vintage mais magnifique du Français Thylacine qui signe des envolées mélodramatiques puissantes et simples. Il y a les dialogues, justes et acérés au point qu'on savoure la moindre réplique, il y a la construction dramatique de chaque épisode, qui porte en 30 minutes l'exact nécessaire de péripéties pour maintenir en haleine. J'ai rarement autant pris de plaisir à binger une série, aussi parce qu'elle n'hésite pas à partir dans une infinité de nuances ou de tons.
Je ne dirai jamais assez de bien de l'interprétation de Melvil Poupaud, scientifique cartésien légèrement loser dont on épouse parfaitement les vues, partagé entre son travail et sa vie de famille, avec laquelle il entretient des rapports extrêmement réalistes, crédibles, teintés tout de même d'une poésie très spécifique à l'univers d'Antony Cordier. Sa relation avec ses enfants et son ex-femme, la lumineuse Géraldine Pailhas, est traitée d'une manière très inhabituelle et rafraîchissante pour une série télé. Il en va de même à son travail : Quentin Dolmaire, Michel Vuillermoz (qui semble sorti d'un film des Podalydès), Daphné Patakia, Olivier Broche, Laurent Poitreneaux, Tom Dingler, il y en a beaucoup trop, jouent tous sans exception une partition incroyablement maîtrisée qu'on retrouve très rarement dans les séries. Chaque rôle a un caractère extrêmement bien défini, avec tout de même ses petites sorties de route savoureuses et ses surprises toujours touchantes qui contribuent à construire des personnages fins, nuancés, crédibles, à des années-lumière de ce que l'on voit d'ordinaire à la télévision ou en streaming.
Pas possible de dire assez de bien de l'humour non plus, qui évite la plupart du temps les grosses ficelles pour imposer une tonalité discrètement absurde. Presque aucun gag n'est asséné, les meilleures vannes passent à la vitesse de l'éclair au détour d'une réplique innocente ou d'un détail dans le cadre, ce qui donne à la série un ton mûrement cinématographique, voire cinéphilique. Pour autant, acteurs et réalisateur ne s'interdisent pas non plus des sorties de route un peu plus grasses qui, loin d'être lourdes, font office de contrepoint idéal à des séquences plus dramatiques qui suivent ou précèdent. De manière générale, l'acuité des dialogues, le punch naturel des joutes verbales entre agents du GEIPAN, tout cela associé au style très poétique et imagé du réalisateur, forme un cocktail détonant qui laisse toujours en attente du prochain coup d'éclat, qu'il soit d'ailleurs comique, dramatique ou scénaristique. Et là non plus, encore une fois, la série ne déçoit pas : OVNI(s), tout en imposant une véritable singularité de ton, réussit à respecter à 100% les codes du feuilleton à suspense, et il n'y a pas un épisode sans que le mystère ne s'épaississe, ne se résolve partiellement, ne s'épaississe à nouveau. La manière dont les personnages raisonnent pour élucider les mystères du groupe d'études est crédible et familière, et il faut saluer à plus d'un titre l'intelligence du scénario, qui fait entrer en résonnance une pure histoire de science-fiction, bien juteuse et fascinante, avec des thématiques sociales et politiques modernes.
Moderne, ce pourrait être le mot de la fin pour qualifier cette série, qui, contrairement à beaucoup de concurrents français ou américains, réussit à imposer une vision, une tonalité, tout en s'inscrivant dans plusieurs époques. Celle de l'action évidemment, brillamment reconstituée et mise en musique (ai-je dit assez de bien de Thylacine ?). La nôtre aussi, évoquée par des clins d'oeils du scénario, mais aussi et surtout considérée en mettant en perspective notre monde d'aujourd'hui, ses évolutions sociales et sociétales, avec son état d'il y a quarante ans. Avec un humour bourré de recul, un sens du détail quasiment maladif pour une série télé, et l'abord très pudique de thématiques obligées (féminisme, écologie), OVNI(s) fait marrer et réfléchir. Et émeut, un peu, beaucoup, jusqu'à cette conclusion nécessairement frustrante, mais parfaitement raccord avec les thématiques de son réalisateur, qui contribue à la placer à un niveau extrêmement haut pour une production de ce genre. Le genre de trip qui, personnellement, m'a partiellement consolé de la fermeture des cinémas.
Au fait, j'ai déjà dit que la musique était bien ?