S’il y a quelque chose à retenir de Rome avant le reste, c’est indéniablement son ambition grandiose de proposer une série-péplum au budget colossal tout en ne niant pas ce qui fait la singularité de la chaîne HBO, à savoir cette mise en scène atypique, à des lieues du mainstream habituel.
Tout commence par un générique ahurissant. Une minute trente de tags et graffitis sur les murs de la ville, le plus souvent obscènes (le mec avec la bite à l’air), d’autres fois rappelant des épisodes célèbres de l’histoire romaine (la louve nourrissant les deux frères), le tout ambiancé par la musique de Jeff Beal, composée uniquement avec des instruments de l’époque. En clair, le générique de la série illustre parfaitement l’essence de la série et l’ambitieux travail fourni par HBO et les créateurs : on aura droit à une reconstitution la plus exacte possible de la Rome de Jules César, à travers ses grandes et petites histoires, les deux étant amenées à se chevaucher ; ainsi que, et surtout, une description fantasmée et onirique de la ville, véritable personnage à part entière de la série.
Pour ce qui est du travail de reconstitution d’abord, je ne peux hélas pas affirmer m’y connaitre assez dans cette période de l’histoire pour venir chipoter sur des détails quelconques juste pour faire mon malin. Un simple tour sur Wikipedia de temps en temps a eu tôt fait de me venir en aide sur certains points… Les acteurs sont d’ailleurs très bons, Ciarán Hinds (César), et James Purefoy (Marc-Antoine) étant au-dessus des autres. A ce sujet, je crois que c’est la première fois que ça m’arrive, mais même pour les personnages les plus grands de la série, je ne me souviens pas les avoir considéré comme « attachants » : il ne se produit pas une empathie, même partielle, pour César, Marc-Antoine, Octave, Cléopâtre, qui sont avant tout de bons gros enfoirés, ni même pour les « petits » protagonistes, comme Pullo ou Vorenus. Les personnages évoluent inlassablement dans la ville, vaquent à leurs affaires, mais on ne les prend que rarement en affection. Ce n’est pas une critique, loin de là, mais ça mérite d’être relevé.
Sur les moyens mis en œuvre pour la série, Rome est une vraie tragédie : annulée au bout de deux saisons par manque de moyens, la vingtaine d’épisodes restante témoigne de l’ambition qu’ont eue les producteurs de la série. Tout est grandiose pour un tel format, notamment les triomphes des personnages dans Rome, vastes parades glorieuses où tout est posé pour un récital blockbusturien. Les scènes de bataille sont là encore très intelligentes : pas trop de bourrinisme primaire, et beaucoup de malice dans la manière de les filmer (du point de vue des seuls généraux, avant/après la bataille, mais rien pendant). Bref, on contourne les restrictions budgétaires comme on peut et ça passe étonnamment bien et renforce l’image symbolique du show.
Pour en venir sur ce point, il y a quelque chose de « Oz » dans Rome. La série de Tom Fontana se caractérisait par une mise en scène théâtrale, fantasmée et surtout très changeante. Les retournements de situations, d’alliances étaient légions. Tout comme dans Rome. Probablement inspiré de la tragédie antique, le rythme des épisodes de la série est assez déroutant, ce qui m’a d’ailleurs fait perdre en intérêt lors du début de la deuxième saison (là où Oz m’avait captivé). Les péripéties de Lucius Vorenus, sympathiques au début, commencent à prendre la tête par ses multiples changements d’humeurs et de personnalités. Néanmoins, hormis cela, la série sort la tête haute de cette difficile symbiose entre blockbuster et « série d’auteur ». Les scènes finales le confirmeront, où le palais de la divine Cléopâtre semble nager dans un océan de folie et de démence, où orgies et fumette font le bon plaisir des protagonistes, enchaînés à leur destin tragique.
La forme passée, on peut s’intéresser au fond de la série. Les scénaristes ont jugé bon de faire interférer les grandes et petites histoires de la ville. Les grandes, ce sont bien sur celles de Jules César, Marc-Antoine, Pompée, Brutus, Octave, Cicéron, et autres sénateurs retors et manipulateurs. Les petites, ce sont celles des deux véritables héros du show, Lucius Vorenus et Titus Pullo, deux légionnaires démobilisés après la victoire d’Alésia et qui doivent donc réapprendre à vivre en temps de paix. En cela, Rome serait presque (j’insiste sur le presque, la création de John Milius étant bien plus intelligente) une version 1.0 de Game of Thrones, sans le machiavélisme à deux sesterces de Tyrion et compagnie. Sur le plan politique, Rome innove car elle ajoute aux intrigues républicaines et impériales le style de mise en scène indiqué plus haut. En outre, la contrainte du nombre d’épisodes et du budget alloué fait que certains retournements de situation vont vite, très vite, presque un peu trop. Les années s’écoulent rapidement aussi. Bref, on reste parfois circonspect devant certaines scènes originales. Why not dira-t-on.
Quant au symbolisme de la série, je ne veux pas m’avancer plus que ça, mais beaucoup de choses peuvent être relevées.
Vorenus, Pullo et tous les autres témoignent de la difficile réinsertion des soldats après de longues années de guerre (pour une série sortie en pleines guerres d’Afghanistan et d’Irak…). Idem pour l’interventionnisme actif de César (superbe dialogue où il déclare vouloir mater l’Egypte pour que le grain continue d’affluer vers Rome, symbolisme quand tu nous tiens), auquel s’oppose tout le Sénat, allant jusqu’à le déclarer tyran de la république. La série joue d’ailleurs intelligemment le jeu du quiproquo en ne prenant parti pour aucune des deux factions : César est monstrueusement charismatique mais dans l’illégalité, tandis que le Sénat de Cicéron a des principes, mais des principes changeant de sens comme des girouettes au vent des menaces. En clair, tout est politique et l’assassinat de César n’en sera que plus magnifique (car oui, spoiler, il meurt à la fin).
Autre comparaison avec nos sociétés contemporaines, il faut aussi s’intéresser au rôle des médias. Pour la série, le principal est celui incarné par ce gros bonhomme s’adressant au peuple sur la place du Sénat, en gesticulant et en haranguant la foule sur les nouvelles politiques et guerrières de la république. Un seul réseau d’émission en temps de guerre signifiant logiquement une information biaisée, partiale et manipulée, le spectateur en est lui aussi abreuvé. Là encore, la série est très maligne car ce qu’annonce l’orateur ne correspondant parfois pas à ce que les personnages d’influence ont décidé plus tôt, ce qui fait déclarer à l’un d’eux, Atia il me semble, que personne ne croit finalement ce que raconte cet homme, malgré la foule importante et enthousiaste rassemblée à chacune de ses interventions.
Bref, beaucoup d’autres points pourraient être relevés (religions, civilisations, peuple et bourgeoisie, etc.) mais tout ça pour dire que la série peut se lire selon différents points de vue, ce qui fait la marque des shows de bonne, voire de grande qualité.
HBO prouve encore une fois qu’elle a eu des longueurs d’avance colossales pendant les années 2000 sur ses concurrents en termes de mise en scène, thématiques, budgets et réalisation. On ne regrettera seulement que quelques errances vers le début de la saison 2, ainsi que, et surtout, une série finie hélas trop rapidement pour des contraintes financières. La fin en elle-même est superbe, mais on voudrait toujours plus de cette utopique série télé de plusieurs saisons narrant la grandeur et la décadence de la Rome antique. En espérant peut être un jour un retour d’Octave et compagnie ?