Cette critique ne porte que sur les cinq premières saisons.
Une chose est à notée dans cette ère de la critique ouverte à tous que nous vivons. Cette ode à la liberté individuelle ouvre la porte, et nous le constatons tous, de la grande foire au n'importe quoi.
Pour dire les choses plus simplement, dans un monde soit disant libéré des considérations de classe, puisqu'internet donne la parole à tous, il est triste de constater que trop souvent les œuvres sont évaluées par des contre et des pro.
D'un côté l'adoration, de l'autre la détestation, avec en filigrane une volonté geignarde de se prouver qu'on existe par rapport à autrui.
Je mentionnais la société de classe puisque finalement il s'agit toujours de dissocier le noble éduqué, fin connaisseur, qui se délecte du cinéma de Kubrick, du paysan qui se bafre devant Fast and Furious.
Vous me direz peut être que c'est un fait, que certains consomment « pauvrement », quand d'autres jouissent d'une culture éclairée.
Tristement, je n'arrive pas à embrasser cette idéologie qui, à défaut de parler du fond ne s'attache qu'à la forme des objets et des personnes que le monde offre à regarder. Remarquez, l'être humain se construisant dans le miroir qu'incarne autrui et plus largement le monde, ce cheminement de pensée paraît le plus logique. Quand autour de nous, l’intelligentsia nous gave de réflexions et de commentaires le plus souvent de surface et qu'ils incarnent le modèle de réussite sociale auquel inconsciemment nous aspirons tous, il est facile de succomber.
Et pourtant, malgré le fantasme du contrôle permanent, de l'autodétermination et de la toute puissance, nous sommes tous des êtes contradictoires, tantôt avides d'adrénaline, tantôt de sagesse. Cette balance, qui en théorie devrait nous unir dans le dialogue contradictoire est trop souvent ignorée.
Si vous avez lu jusqu'ici, vous êtes surement en train de juger ma démarche comme au mieux absurde, au pire navrante. Ceci dit, elle prend, à mon avis, son sens, dès lors que nous sommes sur un site de critique.
Puisque finalement mon sentiment à propos de Supernatural et mon désir de rédiger une analyse est intimement lié à ce constat que je fais trop souvent ici et ailleurs. La forme prime presque toujours sur le fond.
La critique porte sur le grain de la caméra, la technique, le jeu des acteurs, la logique et le rythme du scénario etc. Lorsque le fond est abordé, c'est pour les œuvres ayant obtenu leur passeport (récompenses, éloges critiques...). Et même dans ces cas précis, le discours est tout aussi formaté, simple relais de la bonne parole des « experts ».
Mon opinion à propos d'une œuvre d'art est qu'elle est sensée établir un canal de communication entre celui ou ceux qui créent et ceux qui recoivent. Et qui dit communication dit message, le plus souvent universel, sur les tiraillements existentiels de l'être humain.
Ensuite l'interlocuteur entendra un écho, ou pas, en fonction de son vécu personnel, de ses connaissances, mais aussi du contexte dans lequel il va recevoir la parole. Après tout, difficile d'aborder naïvement et fraîchement une personne lorsqu'un influenceur quelconque vous aura au préalable murmuré un truc du genre « c'est un con ». Le même procédé s'applique à une œuvre et les a priori sont aujourd'hui légion.
Ce préambule est un appel au sens critique qui sommeille en chacun de nous, bien souvent perfusé par cet air distant et finalement peureux qui nous incite à adopter la posture de celui qui ne ressent rien, en pensant être objectif. Malheureusement, l'objectivité et la subjectivité sont intimement liés, faire le déni de l'un, ne l'annihile pas, c'est simplement notre opinion que nous troquons pour un substitut frelaté.
Enfin, ces préoccupations liées à l'ego me tiennent à cœur puisque trop souvent, en conversation, je me heurte à une telle volonté de se tenir au dessus d'une œuvre, que l'acte de pénétration est impossible, comme si s'abandonner pour un temps donné, ce serait admettre une faiblesse. Or, sans se livrer, il devient difficile de s'opposer ou d'adhérer et finalement d'exister, puisque de relation il n'y a pas.
Maintenant j'en viens à Supernatural, une série fantastique, crée par Eric Kripke en 2005, marquetée comme un objet de fantasme pour midinette à en juger par les affiches promotionnelles, mais qui en vérité est avant tout une histoire de mecs. Deux frères, condamnés dès leur plus jeune âge à chasser les créatures fantastiques, emmené par un père, obsessionnel depuis la mort de sa femme, assassinée par un démon aux yeux jaunes.
Comme pour X Files en son temps, les scénaristes alternent entre des épisodes stand alone et ceux qui font avancer le fil rouge.
Si au départ, on peut avoir l'impression d'un amalgame de monstres et d'une quête de vengeance, somme toute assez classique. Au fur et à mesure, avec le soin des équipes créatives, on se prend au jeu d'une histoire qui évolue en connaissance de ses influences et donc avec un degré de liberté assez rare.
L'aspect road movie crée un sentiment de renouvellement, tout en amenant un doux sentiment de familiarité. La voiture, la musique rock, les discussions entre frères, à cœur ouvert. Tous ces éléments nous amènent à faire partie progressivement de la famille Winchester et de ses déchirements.
Puis, le lore commence à se développer. On rencontre d'autres chasseurs, les scénaristes mettent les pieds dans le plat de la théologie et finissent par s'approprier complètement l'ensemble de nos mythes et légendes.
Il faut ajouter à ça une certaine maitrise de l'humour référencé et de l'absurde.
Dans l'ensemble, et sans spoiler, les 5 premières saisons (plan initial de Kripke, puisqu'il a quitté le navire après) de Supernatural forment un ensemble savamment maitrisé, qui traite très bien du cœur de l'être humain, de ses forces, comme de ses faiblesses et surtout de ses contradictions.
De plus, un discours beaucoup plus méta, au sujet de nos sociétés occidentales est également une stimulante source de réflexion sur l'existence au sens large.
Alors bien entendu, sur la forme, Jensen Ackles et Jared Padalecki ne seront jamais nominés aux emmys. Les effets spéciaux n'ont pas le budget d'un Avengers et la réalisation n'est pas celle d'un Leftovers.
Ceci dit, la formule, comme celle de Buffy en son temps, utilise intelligemment le fantastique comme métaphore, amplificateur du réel et fait ressortir des vérités qui ne se cachent pas dans les pages de Stephen King.
Pour finir, je dirais qu'avec un phrasé qui n'a pas la sophistication d'un Westworld, Supernatural nous raconte beaucoup et avec une passion débridée qui fait chaud au cœur.
Si vous êtes en mal de fantastique, que Buffy et Mulder vous manquent, alors foncez, vous pourriez, non pas vous délecter, ni vous bâfrer, mais plutôt vous régaler.