Les bonnes intentions ne suffisent pas toujours. Produire une série de S.F qui sort des sentiers battus, qui prend le pari de s'éloigner des productions tapageuses habituelles à suspense est en soi louable. Jouer sur l'esthétisme et la lenteur comme dans un certain cinéma indépendant (Monster) l'est également. Mais Tales from the loop a pris le risque de tomber dans l'excès inverse.
The Dharma initiative
Inspiré des stupéfiantes peintures de l'artiste suédois Simon Stålenhag, le show runner Nathaniel Halpern imagine la vie d'une petite ville américaine dont la seule particularité est d'abriter en son sein un centre de recherches sur les phénomènes paranormaux (on pense inévitablement au Dharma de Lost). Lesdits phénomènes se manifestent surtout en dehors de la structure et à travers des objets qui ressemblent plus à des pièces détachées rouillées qu'à de rutilants objets hi tech.
Ce décalage entre une technologie à la fois désuète et avancée qui serait plongée dans un quotidien banal est très original. Enfin Spielberg l'a fait à sa façon, mais sa vision suburbaine était bien plus américanisée et gelée dans les années 80. Et ça donne de belles images c'est vrai, ces lourdes carcasses métalliques et ces infrastructures rétro futuristes perdues dans un modeste bourg, ça a du charme. Mais l'esthétisation à outrance des histoires passe moins bien.
Une poignée d'habitants expérimente, le plus souvent à ses dépens, les pouvoirs incontrôlables de ces objets d'un autre temps : Voyage dans le temps, mondes parallèles, transfert d'âme... un catalogue de phénomènes souvent exploité dans la S.F, mais jamais de façon aussi indolente et même dépressive. Cela change certes du traitement ultra conventionnel d'un Amazing stories, Stranger things ou du lourdingue remake de Twilight zone. Mais cela donne aussi des épisodes sacrément inégaux.
Et le traitement contemplatif qui semble condamner toute approche pragmatique des phénomènes est un brin agaçante. Comme le fait que les personnages réagissent rarement de façon "cohérente" aux mystères qui se produisent sous leurs yeux. Le cadre si éthéré semble déteindre sur leurs âmes, et le renoncement, l'abandon semblent inévitables.
Les deux amis qui échangent leurs corps grâce à une mystérieuse capsule ronde perdue dans les bois. L'un des deux refuse ensuite de reprendre son corps parce qu'il n'est pas assez bon en classe et qu'il espére travailler un jour dans le labo...Bon. Au lieu d'insister et de convaincre de reprendre le cours de leurs vies respectives, le "lésé" accepte le refus de son ami bien rapidement et tente par ses propres moyens de retrouver son corps - pour son plus grand malheur. Le petit frère, qu'on suit à l'avant dernier épisode, retrouve l'âme de son frère coincée dans un robot et au lieu d'alerter tout de suite sa mère scientifique, préfère passer la nuit dans le bois dans le froid en sa compagnie... cela donne une jolie scène mais on sacrifie la cohérence. Et ces petits moments où l'on se dit "mais pourquoi il ne fait pas ça", se multiplient au fil des épisodes.
Si c'est flou, c'est qu'il y a un loop (pardon pour celle-là)
Les personnages semblent guidés de manière rigide par le scénariste, comme un chien avec une lesse trop courte autour du cou, que l'on emmènerait de force à un endroit. Pas de temps à perdre avec les contingences normales, les réactions logiques. On doit montrer la beauté, la dramaturgie, l'émotion... Et cette volonté d'emmener aux forceps le spectateur vers autre chose peut avoir un effet repoussoir, ou pire soporifique.
Cela fait de Tales from the loop la série la plus plombante depuis Chernobyl (et encore... Legasov avait de meilleures raisons de faire la tronche !). Une place pour la fantaisie n'est pas obligatoire vous me direz, Leftovers n'était pas plus léger, mais il y avait un contenu plus riche et un désir de faire plus que de produire de beaux plans. Dur de ne pas piquer du nez devant des intrigues parfois très molles (le grand-père, le vigile qui change de dimension).
C'est un choix de narration après tout mais cela teinte l'ensemble d'une mélancolie très très appuyée et - c'est le plus gênant - parfois assez artificielle. L'objectif d'Halpern semble d'avoir voulu confectionner une sorte de Lost à la façon Terrence Malick. Chaque miracle est couplé à un problème affectif que l'on a tous plus ou moins expérimenté un jour dans notre vie (le deuil d'un parent trop âgé, la fin d'un amour adolescent, le sentiment d'abandon, la culpabilité, la misère affective, envie de baiser à même le bitume du centre ville devant des passants figés dans le temps, le besoin de protéger...).
Tales from the Loop a le mérite d'incarner une proposition différente en matière de S.F. Immensément beau, super chiant ou juste anecdotique ? C'est à vous de voir.