Christopher Storer, essentiellement connu pour ses captations de one man show sur Netflix, propose une des plus grandes surprises de 2022. Oser une fiction sur la cuisine d'un petit restaurant de Chicago qui se bat pour sa survie - alors que la téléréalité a usé le thème jusqu'à la corde depuis 10 ans - était un pari risqué. Surtout sans grosse vedette dedans. Et pourtant, on ne peut que s'incliner devant la qualité de cette série de FX, car les courts épisodes s'avalent avec boulimie (ce sera mon seul jeu de mots pourri avec la bouffe).
Carmen (Jeremy Allen White) chef reconnu mondialement, hérite du restaurant familial suite au suicide de son frère. Et le spectateur est jeté au beau milieu des fourneaux sans trop comprendre ce qu'il se passe. On sent le climat lourd, une tension dans le graillon, les non-dits dans le speed du service, mais il faut envoyer la bouffe. Et les pauses clopes, sont de paradoxales bouffées d'oxygène, où une fois la tension retombée, on se dit un peu les choses qu'on a pas pu formuler avec diplomatie un peu avant.
Carmen a dirigé des cuisines prestigieuses, mais il envoie du poulet patate comme si ça vie en dépendait. On voit bien que ce n'est pas pour engranger de "la pognasse" qu'il sue sang et eau à cuir des côtes de bœuf, mais pour recoller un truc de cassé. Et à première vue, il semble mal épaulé dans sa mission. C'est pas loin de Cauchemar en cuisine, sauf que Gordon Ramsey est remplacé par son cousin, complètement irritant et incompétent (l'excellent Ebon Moss-Bachrach), un pâtissier dans la lune qui rêve du donut parfait et une jeune cuisinière talentueuse qui veut s'affirmer.
Et ce qu'il y a de tant appréciable dans The Bear, c'est le sens du détail. Il semble évident qu'un scénariste a vraiment foutu les pieds dans une cuisine pour ressortir 1000 petites facettes authentiques (le chef qui rentre chez lui et qui se tape avec avidité de la junkfood peu ragoûtante, les débats étiquettes fraîcheurs des produits à mettre au frigo...). Pas de romance fonctionnelle prévisible entre les personnages, mais des embrouilles plus vraies que nature, quelques guest sympas (Oliver Platt, Joel McHale, Molly Ringwald) et une révélation : le fameux Jeremy Allen White, avec son air de jeune Vincent Lindon exténué. Il est très crédible avec son jeu à l'économie, et touchant dans l'ultime épisode de la saison. À la fois abattu et animé par une force folle, même s'il a parfois le fantasme de voir sa cuisine brûler, histoire d'être libéré de ce fardeau familial.
Mention spéciale à l'épisode 7 filmé en plan-séquence assez dingue.
Vivement la saison 2, surtout avec un cliffhanger aussi alléchant (allez, ça fait que deux jeux de mots pourris).