A l'annonce de sa retraite en 2013, après avoir réalisé Effets secondaires, Steven Soderbergh tourna pour HBO l'éblouissant Ma vie avec Liberace, qui lui a donné sans doute l'envie de rester dans le domaine télévisuel, lui qui était las de se battre pour imposer sa vision dans le cinéma.
C'est donc qu'ainsi il s'attaqua à la série The Knick durant ses deux saisons en étant non seulement producteur, mais aussi réalisateur, directeur de la photo et monteur d'absolument tout les épisodes ; du jamais vu !
The Knick se situe en 1900 et parle plus précisément d'un hôpital situé à New York, le Knickerbocker. Il faut rappeler qu'à cette époque, le taux de mortalité était beaucoup plus élevé, du fait que les antibiotiques n'existaient pas encore, et que les conditions pour effectuer les opérations n'étaient pas les mêmes, sans pièce désinfectée, ni gants : autant dire qu'à nos yeux, c'est la préhistoire de la médecine. On suit en particulier le chirurgien de cet hôpital, John Thackery, joué par Clive Owen, un homme tourmenté, dont on sait peu de choses sur son passé, et qui a pour obstination de découvrir toujours plus de choses sur la médecine. Cette obsession est telle qu'il en passe par des drogues, comme la cocaïne et l'héroïne, alors autorisées à cette époque !
Au même moment va arriver un nouveau chirurgien, le Dr Edwards, venu d'Europe, et qui va devoir se faire sa place au sein de l’hôpital et de la société New-Yorkaise en général car il est de couleur noire ; au départ, il va être limite parqué comme un reclus, car ses opérations se déroulent dans un sous-sol, comme s'il s'agissait d'un pestiféré !
Durant les vingt épisodes (d'une heure chacun) de la série, The Knick est comme un microcosme de la société, avec les riches et les pauvres, les faibles et les puissants, les femmes reléguées à l'équivalent d'aides-soignantes, bien que le nom n'existait pas encore à l'époque et qui doivent se battre pour s'affirmer, les tractations en coulisses pour donner ou non des fonds pour l'établissement. L'entrée de la médecine dans le XXe siècle ne se fit pas sans heurts, et on voit les progrès se faire lentement, comme la découverte des rayons X permettant de faire des radios, ou les opérations chirurgicales permettant de développer le savoir sur le corps humain.
Disons-le tout net ; j'ai trouvé cette série fantastique, peut-être le chef d'oeuvre de Soderbergh, qui s'est vraiment érigé en auteur total et absolu, donnant à cet hôpital un aspect mortuaire, par la faible lumière, et les couleurs orangées, mais quelle mise en scène ! Dans la direction d'acteurs, on sent qu'il a voulu donner quelque chose de très moderne, avec des plans caméra à l'épaule, qui semblent comme frénétiques, avec la musique de l'habitué Clint Mansell, qui ressemble à de l'électro, ce qui est anachronique, mais diffusée par petites touches, donne là aussi un aspect assez sombre à cette histoire. Il est à noter que le décor du bloc opératoire, où sont réunis en hémicycle des scientifiques et étudiants, est comme une salle de théatre, avec ce public silencieux.
Quant aux acteurs, on peut dire qu'ils sont tous extraordinaires ; Clive Owen trouve sans doute le rôle de sa vie, André Holland (qui joue le Dr Edwards) est un redoutable voleur de scènes, et il a la présence touchante de Eve Hewson (dont j'ai appris qu'elle est la fille de ... Bono !) qui est cette assistante qui restera toujours aux côtés de John Thackery, une âme-sœur dont il refusera son amour.
The Knick étant logiquement une série médicale, je ne la recommanderais pas forcément à tout le monde, car les opérations qu'on y voit sont parfois de la boucherie, avec pas mal de gros plans, et aux conséquences parfois désastreuses, comme pour payer le prix d'expérimentations parfois gratinées. Ça n'est pas tout les jours qu'on voit un crâne ouvert pour montrer les différents zones stimulées par le cerveau pour suggérer le rire ou l'émotion. D'ailleurs, au niveau hygiène il faut dire que les opérations se faisaient sans gants, donc du sang en contact avec la peau ; bonjour les infections et maladies !
Il faut dire que la série a été malheureusement ET heureusement interrompue après deux saisons, d'une part à cause de baisses d'audiences, mais aussi parce que The Knick avait été construit comme une anthologie de six saisons, deux saisons par époque. Donc, on peut estimer que la fin, magnifique, clôt la série de manière satisfaisante.
Je ne suis pas fan de tout ce qu'a fait Soderbergh, mais quand on voit sa surproductivité, parfois trois films en un an, sa Palme d'or à 26 ans, son implication totale dans les séries, car il en a réalisé et produit d'autres, c'est clairement un génie, je n'ai pas peur de le dire.
The Knick est vraiment une série grandiose, qui a su se terminer à temps, un reflet de notre société moderne, où tout restait à faire du côté de la médecine.