Je ne pense pas que j'aurais passé le deuxième épisode si je n'étais pas fan du livre.
Mais si vous hésitez, allez-y. Il s'agit d'une adaptation complète en dix épisodes, pas d'une série qui va faire traîner son absence de contenu pendant six ans. Une vraie histoire et une vraie fin.
J'ai lu Terreur (en français) à sa sortie en 2010 et j'avais adoré. Un bouquin qui aime faire traîner une histoire dont il nous spoile la fin dès le début. Un coup de Wikipedia sur l'histoire des navires Terror et Erebus nous l'aurait racontée de toute façon. C'était déjà ce qui était intéressant dans le livre: un "inspiré d'une histoire vraie" basiquement accrocheur mais dont les historiens ne savent pas grand-chose.
Cette histoire des bateaux bloqués dans la glace est assez connue chez les britanniques car elle avait agité la presse à l'époque (milieu XIXè). Dan Simmons, après Terreur, a écrit Drood, dans lequel il met en scène Charles Dickens, qui met en scène une pièce de théâtre pour rendre hommage au HMS Terror et au HMS Erebus, notamment pour nier
le recours au cannibalisme
qui était une rumeur, à l'époque. Toujours pas prouvée maintenant mais fort probable.
Les épaves réelles ont été trouvées seulement en 2014 et 2016, fait étonnant car les aventures financières pour l'adaptation du roman The Terror ont commencé dès 2012. Les navires ont été retrouvés à plusieurs centaines de kilomètres des lieux où l'on pensait les découvrir. Dan Simmons a écrit son livre avant, avec pour matière la liste des passagers, un vieux témoignage d'inuits, et une information sur
l'intoxication au plomb
, connue depuis le XIXè siècle.
Ayant toutes ces informations en tête, et adoré ce livre languissant, chiant même oui, avec ses 1000 pages pas toutes remplies d'intérêt, mais qui vous empêchent de le lâcher avant la fin. Il y a une ambiance lovecraftienne indéniable, mais pas dans le style littéraire. Là où Lovecraft a un style rapide avec de nombreuses nouvelles qui s'étalent sur 30 ans en quelques pages, Simmons nous raconte 2 ans en 1000 pages et en cela le style est très cinématographique. La menace de la terreur des hommes, notre terreur à nous dans ces glaces, cette nuit, devant la faim, le scorbut et la folie qui menacent, tout ça incarné dans un monstre nébuleux qui guette dans le noir ou le brouillard en permanence... Tout ça crée un hors-champ littéraire qui tient à des descriptions d'atosphère, d'ambiance sonore, de désœuvrement à travers un dialogue perdu dans l'ennui et la peur... Une matière prometteuse pour tout bon réalisateur.
Lla série annonce bien sa langueur et ça peut donner envie de partir après le deuxième épisode. Mais chaque épisode surpasse le précédent, fait monter la tension et comme le livre, maintient ce hors-champ permanent, à la manière de certains classiques de l'horreur chez Carpenter, au hasard. C'est par la langueur d'une mise en scène classique que les réalisateurs parviennent à cette horreur cosmique que décrit si souvent Lovecraft dans ses œuvres. Car on peut se plaindre de cette langueur mais à l'heure où H.P Lovecraft est encore réédité, cité, remis au goût du jour, il ne faudrait pas oublier que tout l'art de ses ambiances angoissantes tient au fait de faire traîner l'arrivée du monstre, de l'expérience maudite, de l'explication de la bizarrerie, de l'entrée dans la caverne pleine de squelettes jusqu'à la fin.
En terme de réalisation pure, The Terror bénéficie des leçons de Game of Thrones: laisser le fantastique dans un coin de la tête du spectateur plus que dans l'image, affirmer un intérêt pour les dérives des humains (alcoolisme, sadisme), et aimer raconter et contempler leur déchéance (faim, maladie, douleur). Sur la mise en scène aussi, j'ai éprouvé le même plaisir à regarder des plans fixes et froids sur une tête à claque sadique, à regarder parfois en soufflant un personnage raconter son histoire pendant un lent travelling avant entrecoupé de plans de coupe sur des blessures gerbantes, à voir à travers des dialogues insidieux les relations de hiérarchie se déliter peu-à-peu. C'est du classique âge d'or de la série américaine dans sa narration au long cours, qui manie avec subtilité la montée des horreurs sans aucun racolage, sans aucun surplus, sans un seul sursaut facile pour faire peur, et atteignant en douceur des sommets ( le carnaval de l'épisode 6 est un grand moment que j'attendais de voir mis en images, un peu frustrant d'ailleurs tant j'y serais resté une bonne demi-heure de plus).
Il y a un aspect cheap. On sent le studio, notamment dans les glaces. On sent que les acteurs ont chaud sous leur barda, qu'il n'y a pas un horizon mais un mur vert. Mais le traitement de l'image se rapproche d'un cheap qui peut avoir à voir avec les films de la Hammer des années 60 (chers à Dan Simmons aussi), justifiés par ce contexte britannique victorien, et puis on pense encore à ce cheap agréable qu'on trouve chez John Carpenter, au hasard. On pense à The Thing, bien sûr (des hommes dans un pays de glace, une menace surnaturelle) dans lequel les effets spéciaux "visibles" amènent plus de charme et d'horreur réelle qu'ils ne trahissent l'artificialité de l'histoire. En cela, il y a un gros bémol sur l'aspect visuel de la bête numérique. Pour autant, elle est tellement plus intéressante hors du champ qu'à l'image que sa qualité passe au second plan. Pas terrible mais pas de quoi sortir de l'univers.
J'avais oublié ce livre depuis le temps, ce qui m'a évité de râler face aux inexactitudes et m'a permis d'être surpris par les événements qui m'étaient sortis de l'esprit. Je n'ai donc que l'avis de fan d'un auteur satisfait par une bonne adaptation et qui a poussé jusqu'au bout le visionnage d'un truc pas si emballant au départ. Je suis difficile comme nous tous, tant il y a de choses à regarder et j'ai donc horreur qu'on me dise "force-toi sur les trois premiers épisodes", j'ai autre chose à foutre qu'attendre que ça devienne bien.
J'ai lu ici des gens qui s'étaient laissés happés dès le début, ça me fait plaisir. Si ce n'était pas le cas pour vous, eh bien...forcez-vous sur les trois premiers épisodes.