En regardant la bande-annonce de cette série, je me suis dit : "Un Jude Law, jeune et rebelle, qui révolutionne la papauté, ça doit être cool !". Après avoir vu la série, c'est effectivement de cela dont il est question (et c'est sans doute la série la plus "cool" de ces dernières années) ; mais, pourtant, j'ai été complètement pris au dépourvu. Pourquoi ?
Cigarette au bec et lunettes de soleil, la bande annonce laissait effectivement voir un "jeune pape" (Lenny Belardo, incarné par un Jude Law au sommet de sa forme), beau et charismatique, à l'origine d'une révolution. On pense évidemment à une révolution libérale de l'institution religieuse (chrétienne), un peu à l'image de ce qu'a initié le Pape François à travers des réformes qui cherchent à adapter cette dernière au monde moderne. En réalité, s'il y a bien révolution, c'est-à-dire un changement brusque et soudain au sein d'une institution, c'est bien plutôt d'une revolutio (origine latine chrétienne du mot) ou de ce qu'on pourrait appeler un "retour en arrière" qu'il s'agit. Le nouveau pape, Pie XIII, amorce en effet un tournant conservateur et cela est d'autant plus clair que, lors de sa première homélie (discours public), on retrouve tout un tas de phrases incitant les croyants à retrouver une pleine dévotion envers Dieu, à défaut de pratiquer une charité envers les autres (quasi inutile sans amour de Dieu). Je vous cite quelques passages (épisode 2) :
Nous avons oublié Dieu ... Soyez plus proches de Dieu que de votre prochain ...
Puis, après avoir admis une position intolérante à l'égard des incroyants, il termine son discours (en catastrophe) en disant la chose suivante :
Je ne vous aiderai pas ... Je ne sais pas si vous me méritez !
D'un coup, ça a l'air un peu moins cool et tout ce charabia religieux, finalement ça semble plutôt ennuyeux. Détrompez-vous ! D'une part, ce n'est pas une série religieuse (ou sur la religion), même s'il est question de foi, de Dieu et de prière. Il est également question d'intrigues politiques, d'humour et de sentiments humains. D'autre part, imaginez un peu ce que peut représenter le scénario suivant : à la suite du dernier conclave (élection du pape), un jeune pape américain est élu pour être manipulé par des cardinaux plutôt modérés et, surtout, pour éviter l'élection de son mentor, qui, lui, est conservateur. Finalement, ce jeune pape se révèle encore plus conservateur que son aîné et décide de gérer les choses à sa façon.
Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples, et c'est précisément pour cela que cette série est géniale. Si l'on devait retenir un mot pour la définir, on serait bien embêté tant celle-ci se révèle indéfinissable, contradictoire et paradoxale, à l'image de son personnage principal. Difficile de la vanter à un ami avec de tels adjectifs, pourtant, il faut le voir pour le croire.
D'un côté, le genre de la série oscille en permanence entre la comédie (à travers les répliques irrévérencieuses, arrogantes et impertinentes de Lenny ; le t-shirt "Je suis vierge, ce t-shirt est vieux" de Sister Mary (Diane Keaton)), le thriller politique (les enquêtes et entourloupes des cardinaux) et le récit fantastique (les scènes de prières). De l'autre, nous avons un personnage qui fume clope sur clope en plein palais pontifical, réclame son Cherry Coke Zero comme un gosse, fait bronzette pas loin du kangourou qu'il a ramené dans les jardins du Vatican et, en même temps, refuse d'être médiatisé, enjoint ses fidèles à revenir aux fondamentaux du christianisme, prie de la manière la plus sincère qui soit.
De telles contradictions peuvent en grande partie s'expliquer par le passé de ce personnage qui nous est dévoilé au fur et à mesure des épisodes. Orphelin de père et de mère, c'est un Lenny toujours enfantin, à la recherche de son Père, de son identité, de vérités et fondamentalement émotif qui apparaît. Insaisissable, on traque sa personnalité lors des entretiens qu'il mène avec son fidèle compagnon, Tommaso, sur le toit du palais où il semble se livrer, voire, se confesser. Néanmoins, on ne saurait se fier totalement à ses paroles car, alors qu'il nous raconte comment sa prière égoïste a provoqué son élection, il se plaît également à blaguer en lui faisant croire qu'il ne croit pas en Dieu (Un pape qui ne croit pas en Dieu !!?). De même, comment comprendre que selon lui "jamais une femme ne sera pape" tandis qu'il a toujours une vénération pour Sister Mary (qui l'a élevé) et que l'homosexualité est un péché, alors qu'il aide Gutierrez, lui-même gay, à sortir de ses travers alcooliques ? A ce sujet, une des meilleures scènes demeure celle dans laquelle il reçoit un cardinal à son bureau (épisode 2) pour lui faire avouer son homosexualité et s'éclipser grossièrement en appuyant sur le bouton caché, puis, terminer en pouffant de rire lorsque l'appelée le demande pour le "snack".
Néanmoins, le caractère insaisissable de ce personnage n'a rien d'arbitraire. Il faut même y voir la clé de son succès. Elu en ignorant ses positions, il demeure un mystère auprès de l'ensemble des cardinaux, des téléspectateurs et de lui-même. Comme le croit trop rapidement le cardinal Voiello (Silvio Orlando), chaque homme a ses propres faiblesses, "car l'homme est comme Dieu, il ne change jamais" (épisode 1). Dans cette erreur, il nomme une personne pour enquêter sur la vie privée de Lenny, dans l'espoir d'amorcer sa chute à partir de dossiers compromettants. Cependant, malgré l'attirance qu'il semble avoir pour les femmes, aucune preuve ne nous est donnée d'un quelconque péché charnel. C'est donc peine perdue pour le pauvre Voiello qui doit finalement reconnaître, avec le nouveau pape, que l'homme est nécessairement empli de contradictions. Comme le dit Lenny :
Je suis comme Dieu (...) la trinité, trois personnes en une seule.
Difficile, donc, de manipuler un pantin lorsqu'on ne parvient pas à saisir l'origine des différentes ficelles qui le tiennent.
Paolo Sorrentino sait jouer avec le mystère (religieux ou non), tout comme son personnage, puisque la suite de cette mini-série, The New Pope, annonce un nouveau pape sans savoir s'il sera toujours incarné par Jude Law ou si John Malkovitch prendra la relève à ses côtés. Au milieu de ce mystère, une chose demeure certaine : vivement la suite !
A propos du titre de ma critique : La citation est tirée de la bouche du cardinal Spencer, le mentor de Lenny, qui donne la réplique à Voiello dans l'épisode 3. Si je l'ai choisie, c'est en grande partie parce qu'elle est ambiguë et résume donc plutôt bien la série. En effet, les jeunes peuvent être à la fois plus extrémistes parce qu'ils ont des idées plus révolutionnaires (et moins modérées ou conservatrices que celles de leurs aînés), et plus extrémistes, comme l'est Lenny par rapport à Spencer dans son conservatisme.