Il faut toujours se souvenir du creuset dans lequel un certain jazz d'après-guerre s'est formé : c'est celui amené par Charlie Parker (peut-être d'ailleurs, involontairement) qui a introduit deux géants Miles Davis et John Coltrane. l'aboutissement de chacun de ces deux musiciens fut pour le premier "Kind of Blue" en 1959 et "A Love Supreme" en 1965.
Je suis arrivé personnellement à John Coltrane par Miles Davis car il fut un membre essentiel de ce que j'appelle "le premier quintette" de Miles Davis où le saxo ténor de Coltrane donnait la réplique "grave" à la trompette en demi-teinte et subtile de Miles Davis. Et le jour où j'ai découvert "A Love Supreme" vers l'âge de 15 ans, je me suis dit qu'on ferait difficilement plus beau.
Autant pour "Kind of Blue" que pour "A Love Supreme", je n'ai jamais trouvé mieux chez chacun de ces musiciens.
"A Love Supreme" est le résultat du travail d'un quatuor qui fait date où on rencontre McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie.
McCoy Tyner et Garrison ont beaucoup œuvré pour Coltrane, McCoy Tyner se lancera seul après cet album. Elvin Jones a beaucoup joué avec Miles Davis où il remplaçait Philly Joe Jones.
Ce qui caractérise, entre autres, cet album c'est l'égale importance que donne Coltrane à ses musiciens qui s'expriment régulièrement en solo.
Le premier morceau "Acknowledgement" (reconnaissance) est extraordinaire : un coup de gong initial, une phrase courte de Coltrane suivie d'une courte phrase au piano puis Garrison lance le thème obsédant du morceau que reprend tranquillement McCoy Tyner avant d'être accompagné par un saxo interrogatif. C'est fou ce que ça fait blues, cette entrée en matière. Puis tout devient méditatif et calme jusqu'aux dix -neuf (pourquoi ce nombre ?) "a love supreme" dont le ton évolue entre la certitude jusqu'au doute avec toutes les tonalités progressives intermédiaires.
Le deuxième morceau "Resolution" (résolution que je traduirais par réponse plutôt) est une continuation du premier à la contrebasse Un saxo triomphant ou tumultueux démarre et laisse la parole à un piano qui calme le jeu; d'ailleurs le saxo reprendra sur un ton plus modéré (aux accents encore une fois, bluesy).
"Pursuance" (poursuite qu'on peut peut-être traduire par élaboration) commence par un solo virtuose de batterie qui amène un saxo beaucoup plus posé confirmé par un piano, lui aussi virtuose et libéré comme s'il était heureux du changement de ton. C'est la poursuite d'une méditation plus heureuse entre piano et saxo qui semblerait amener une solution commune avec une batterie qui clôt l'échange avant de donner une longue parole à la contrebasse.
Le dernier morceau "Psalm"
C'est le piano qui lance par quelques accords un saxo complètement apaisé, somptueux, en demi-teinte, grave ... Le quartette est arrivé à bon port.
On sent aussi dans cette dernière partie que Coltrane éprouve le besoin de peut-être aller plus loin, c'est ce qu'il fera effectivement à partir de là en se rapprochant du free-jazz mais ce sera, de mon point de vue, toujours moins réussi.
Trente-cinq minutes seulement mais quelles subjuguantes trente-cinq minutes !