Je m'appelle Esther et j'ai 17 ans. J'habite à Paris dans le 17ᵉ arrondissement. Je vis dans le même appartement depuis ma naissance.
On ne lira pas "Je m'appelle Esther et j'ai 18 ans, etc." puisque c'est le dernier volet sur la vie banale (comme la vôtre, comme la mienne !), mais si intéressante, d'une jeune fille, de ses neuf ans jusqu'aux premiers mois de l'âge adulte. Qu'est-ce que ça file vite neuf ans. Donc, on ne saura jamais ses opinions sur Gaza ou sur l'élection présidentielle américaine de 2024, si elle ira jusqu'au bout de sa licence, si elle fera un séjour Erasmus au cours de ses études, si elle passera son permis de conduire, si elle restera en Paris ou partira ailleurs, en province ou à l'étranger, si elle se mariera ou préférera le célibat, si elle aura des enfants, si elle choisira plutôt d'être childfree et plein d'autres choses.
La terminale, la préparation et le passage du Bac, avec l'inévitable erreur ou oubli, lors d'une des épreuves, qui prend, dans son esprit, des proportions gargantuesques une fois que l'on a quitté la salle d'examen. Elle, c'est un oubli sur Nuit et Brouillard, moi, c'était une erreur, car j'avais fait mourir Georges Pompidou en 1973 (ouais, la honte !), raccourcissant son existence d'un an... comment ça, vous vous en foutez ? En fait, j'ai uniquement cité cet exemple personnel pour souligner combien on a connu plus ou moins lointainement les mêmes péripéties de vie, les mêmes réactions, les mêmes angoisses, les mêmes types de pensée que notre protagoniste. En revanche, Esther, tu ne nous as pas dit combien tu as eu en philo.
Le lycée et le Bac ainsi que les choix indécis pour l'avenir prennent pas mal de place. Il y a aussi les émois sentimentaux (toutefois, notre personnage principal n'évoque jamais ceux d'ordre sexuel... ce qui est son droit le plus total... c'était juste une constatation !), le baptême du feu niveau sortie en boîte, les relations avec les proches (y compris un changement de comportement à son égard dès qu'elle atteint la majorité !), qui, comme soi-même, ne rajeunissent pas, la famille, les copines. Et à part la mort d'Elizabeth II, la figure admirable, courageuse et tragique de Mahsa Amini et tout ce qui s'ensuivit en Iran, ainsi que la réforme des retraites, on n'a guère le temps de s'appesantir sur l'actualité de 2022 et de 2023 (tout cela paraît si loin, vu l'accumulation d'événements qui a eu lieu depuis !). Oui, cette série de bandes dessinées sera un témoignage de ce qu'était la France entre 2015 et 2023.
Par contre, lors d'adieux, il est inévitable qu'il y ait quelques retours nostalgiques vers le passé (la couverture, faisant un clin d'œil à Histoires de mes 10 ans, l'album inaugural, le met en avant !) à base de souvenirs personnels (dont la première rencontre de l'héroïne avec l'auteur !), de références aux volets antérieurs ou de révélations sur sa famille.
C'est le portrait d'une personne attachante, partageant quelques normalités avec la majorité des autres êtres du même âge, comme le fait de ne pas avoir envie de s'engager activement dans la politique ou celui de visionner de la télé-réalité, mais qui a aussi quelques particularités surprenantes, comme celles de détester le rap, d'être fan de Barbara et, bien sûr et essentiellement, de s'intéresser à la Shoah. Une personne à laquelle, on s'identifie facilement, quels que soient le genre et la génération auxquels on appartient.
Bon, il faut bien savoir s'arrêter à temps et ne surtout pas aller trop loin. Je ne peux pas donner tort à Riad Sattouf. On ne va pas suivre Esther jusqu'à l'Ehpad quand même. Bon, j'avoue qu'il y a une petite voix intérieure qui ne peut s'empêcher de me souffler "et pourquoi pas ?"... même si je serai ailleurs depuis bien longtemps... Mais, du moins, cette petite voix révèle que c'est avec des regrets et une émotion forte que je dis "au revoir !" à cette éternelle jeunesse.