Ce tome est le premier d'une série au long cours, indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2003/2004, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Tony Moore. Le lettrage a été réalisé par Robert Kirkman lui-même, et Tony Moore a été aidé par Cliff Rathburn pour l'ajout de trame grise sur les dessins. Cette bande dessinée est en noir & blanc avec des nuances de gris. Elle commence par une introduction de 3 pages rédigée par Robert Kirkman (à une date non précisée) dans laquelle il indique qu'il s'agit d'un récit au long cours, ayant pour objet principal l'évolution du personnage principal au fil des années.
De nos jours (ou en 2003), 2 policiers interviennent sur une autoroute pour raisonner un individu armée d'un fusil à pompe. Rick Grimes est touché au torse et il reprend conscience des jours plus tard dans une chambre d'hôpital. Il se lève, enlève sa perfusion, récupère ses affaires dans le tiroir de la commode et s'habille. Il sort dans le couloir qu'il trouve désert. Il appelle l'ascenseur et les portes s'ouvrent laissant choir un cadavre. Il descend au réfectoire et découvre une pièce remplie de cadavres dont un avec encore un peu de peau sur les os, qui essayent de l'agresser. Il s'enfuit au plus vite.
Rick Grimes trouve une voiture dans le parking de l'hôpital, mais elle ne veut pas démarrer. Il s'enfuit à pied sur la route, et manque de marcher sur un autre cadavre gisant dans l'herbe, mais semblant encore vouloir parler. Il prend le vélo à côté, et rentre chez lui en pédalant e en faisant attention aux bas-côtés. Alors qu'il inspecte les abords de sa maison. Il se fait assommer d'un coup de pelle par un jeune adolescent. Il se réveille dans un lit, dans la maison voisine. Il descend alléché par l'odeur du repas. Morgan Jones lui explique que c'est son fils qui l'a estourbi, le prenant pour un zombie. Il lui explique qu'il y a eu une infestation de zombies et qu'il s'est réfugié ici avec son fils, dans une zone calme. Rick Grimes décide de se rendre à Atlanta, la grosse ville la plus proche, car il suppose que c'est là que se sont réfugiés sa femme Lori et son fils Carl.
Dans son introduction, Robert Kirkman annonce clairement son intention d'auteur : raconter ce qui se passe après l'infestation de zombies, en suivant un personnage principal (Rick Grimes), aussi longtemps qu'il est humainement possible. En 2016 (date de rédaction du présent commentaire), la série en est à ses 13 ans d'existence sans montrer de signe d'essoufflement, sans fin programmée proche, suivant toujours Rick Grimes. Cette série a donné lieu à plusieurs jeux vidéo, ainsi qu'à 2 séries télévisées The Walking Dead et Fear the Walking Dead. Le principe de la série est simple : un individu se réveille sur son lit d'hôpital alors que l'épidémie de zombies a déjà eu lieu. Que va-t-il faire ? Robert Kirkman a choisi un simple policier d'une petite ville de province, avec une expérience de terrain limitée, mais assez de compétences pour pouvoir survivre en milieu hostile. Avec le recul, il apparaît qu'il avait confiance dans la force de sa série, assez pour prendre le temps de l'installer. Le premier épisode sert à montrer l'étendue des dégâts : les bâtiments désertés, les cadavres, quelques zombies, et le délabrement qui commence à gagner les constructions humaines. Le deuxième épisode permet de découvrir l'état d'une grande ville. Enfin dans le troisième épisode, Rick Grimes rejoint une toute petite communauté d'une dizaine de personnes.
Ce premier tome a ceci de particulier qu'il est dessiné par Tony Moore, car il laisse sa place dès l'épisode 7 à Charlie Adlard qui devient le dessinateur en titre de la série. Moore dessine de manière réaliste avec un très faible degré de simplification, ce dernier pour faciliter la lecture. Les personnages ressemblent à des individus normaux de par leur morphologie, mais aussi leurs tenues vestimentaires. Ils changent de vêtements régulièrement, moins souvent quand même que si la civilisation avait perduré (il est même question de lessive). Les décors sont dessinés de manière plus régulière que dans un comics de superhéros. Tony Moore sait rendre compte des spécificités d'un endroit : la route en zone dégagée, la chambre d'hôpital, le pavillon de banlieue dortoir, les rues d'Atlanta, le magasin d'armes à feu, la clairière en bordure de forêt où sont installés la dizaine de personnes dans un camping-car et quelques tentes.
Tony Moore et Cliff Rathburn utilisent des trames grisées pour habiller une partie des surfaces de chaque case, afin de donner une impression de couleur plus foncée, d'ombre portée plus ou moins sombre en fonction de l'éclairage. Le tout donne une impression plus consistante que ne peut parfois l'être du simple noir & blanc. Les zombies sont bien crades, avec des dents et des gencives apparentes, la bouche toujours ouverte, comme des simples d'esprit. Ils ont des pupilles blanches, sans iris. Leur peau semble parcheminée, parfois déchirée à certains endroits. À l'évidence tous ne sont pas au même stade de décomposition, en fonction de la durée qu'ils ont passé à l'état de zombies. Ils sont systématiquement entourés d'un essaim de moucherons attirés par l'odeur et par la chair en décomposition. Ils ne sont pas beau à voir, mais le lecteur finit par observer que l'artiste exagère leur comportement ballot et mécanique, comme s'il y avait une forme d'ironie dans leur représentation, comme si Tony Moore sous-entendait qu'ils ne sont pas à prendre au sérieux. Dans leurs postures et dans le caractère très factuel dont ils se font détruire à la hache ou à l'arme à feu, le lecteur reconnaît une forme de moquerie des conventions du genre, un second degré très agréable à la lecture.
Il en va de même pour les visages des personnages. Tony Moore a tendance à les simplifier plus que leurs corps ou les décors. Cela facilite la projection du lecteur sur ces personnages, mais là aussi cela fait naître une forme de second degré semblant dire qu'il ne faut pas trop les prendre au sérieux. En fonction de son état d'esprit, le lecteur peut voir dans le sourire des protagonistes, ou dans leurs expressions de visage très franches, la marque d'individus simples projetés dans un monde de survie qui n'a plus de sens. Il peut aussi y voir une légère exagération relevant d'une moquerie ou d'un clin d'œil adressé au lecteur sur les conventions de genre, c’est-à-dire d'une histoire utilisant les clichés propres aux récits de zombies.
La narration visuelle se révèle donc très agréable dans sa précision, sa volonté de plonger le lecteur dans un monde réel décrit avec attention, sans en devenir surchargé, avec un petit sourire en coin. De son côté, la narration de Robert Kirkman comprend elle aussi des particularités. En surface l'intrigue relève d'une forme de naturalisme simple. Les personnages ne se posent pas de questions existentielles. Soit ils font le nécessaire pour continuer à vivre en s'occupant des besoins basiques : se nourrir, se vêtir, s'abriter, trouver du réconfort dans la compagnie d'autres individus ; soit ils sont assommés par l'énormité de la situation et ils se comportent en automates, s'enferment dans le mutisme, ou encore avoisinent la dépression. En intégrant quelques enfants avec parcimonie dans sa distribution, le scénariste se montre assez habile, en montrant qu'ils s'adaptent à tout et que leur énergie vitale s'avère plus forte que tout, leur permettant de s'accommoder de ce nouvel état de leur environnement.
Le lecteur se laisse donc porter par cette narration simple, linéaire, pragmatique et factuelle. Comme il s'en doutait, il y a plusieurs moments choc, jouant sur la rupture de ton entre un moment calme et une mise en danger soudaine du fait d'une attaque de zombie ou pour une autre raison. Néanmoins, ce dispositif narratif n'a pas le même impact qu'au cinéma ou à la télévision puisqu'ici le lecteur contrôle sa vitesse de lecture. Il remarque quand même le savoir-faire de Tony Moore qui sait jouer sur ce qu'il montre et sur ce qu'il ne montre pas pour laisser planer un doute sur ce qui arrive vraiment (en particulier lors de l'attaque du campement de fortune). Le lecteur remarque également que la mort de personnages peut survenir à tout moment, quel que soit le personnage et que l'auteur s'en sert comme un dispositif narratif efficace. Il a un peu plus de mal à avaler les retrouvailles providentielles de Rick avec sa famille, ou le fait que l'ascenseur de l'hôpital fonctionne encore alors qu'il ne semble plus y avoir d'électricité nulle part.
Le lecteur observe également 2 thèmes présents tout au long de ce premier tome. Si la menace des zombies est bien présente, les personnages jouissent d'une étonnante liberté, leur donnant une forme d'insouciance inattendue. Ils sont libérés du carcan de la société, n'ayant plus qu'à se préoccuper de leur sécurité (moins difficile que prévu, il suffit de se tenir à l'écart des zombies) et de se nourrir. Pour le reste, un groupe de femmes évoque la corvée de linge, les hommes chassent le gibier. Mais il semble ne plus y avoir de contrainte de se lever, d'aller travailler, de devoir se conformer aux innombrables règles de la vie en société. L'autre thème principal est plus pernicieux et il ne se remarque que du fait de la répétition. De manière naturelle, les survivants s'arment pour pouvoir se défende en cas d'attaque par ces zombies patauds et lents. Mais à plusieurs reprises, s'approvisionner en armes et en munition devient un objectif prioritaire. La question se pose même de savoir qui doit être armé, en particulier les individus n'ayant jamais manipulé une arme, ou même les enfants. Derrière ce thème récurrent, il y a bien sûr celui d'assurer la sécurité de la communauté, et sous-jacent mais déjà présent celui de savoir qui doit diriger la communauté, sous quelle forme : consensus collégial ou chef reconnu pour ses compétences, mais lesquelles ? Cette insistance sur les armes à feu rappelle leur grande accessibilité aux États-Unis, et atteste également du changement radical de l'état de cette société dont les individus se retrouvent brutalement entre le premier et le deuxième niveau de la pyramide d'Abraham Maslow, entre la survie et la sécurité.
Au final, ce premier tome se lit tout seul, la narration simple offrant une lecture rapide et facile. Le lecteur éprouve quelques difficultés à vraiment prendre au sérieux ce début du fait des dessins parfois goguenards de Tony Moore. Il voit bien que Robert Kirkman est capable de poser des questions pertinentes sur la civilisation et sur la société, mais il peut aussi n'y voir que des évidences, sans réflexion derrière. 4 étoiles pour un début divertissant et léger.