Bacurau (2018) du même réalisateur m'avait mis une énorme claque et c'est donc avec beaucoup d'enthousiasme que je me lançais dans ce film.
On y retrouve la thématique de la lutte entre un libéralisme cannibale et une communauté (ici quasiment réduite à son personnage central) contrainte à s'adapter quitte à perdre son identité et ce qui fait son sel, son humanité.
Aquarius c'est le nom d'un immeuble situé en bord de plage à Recife et le choix du lieu n'est pas anodin. Capitale de l'état brésilien du nordeste, état qui historiquement a vu l'arrivée des colons portugais au XV -ème siècle et qui a depuis toujours été le symbole d'un pays double avec d'un côté les riches familles blanches propriétaires terriennes et les familles issues d'abord des habitants originels puis des descendants d'esclaves, chacune cohabitant avec toujours cette notion raciale fondue en notion de moyens et donc de pouvoir et de dominations.
Clara est une sexagénaire dynamique qui traverse les écueils de la vie avec force et détermination, d'une jeunesse passée sous la tutelle oppressive d'une dictature à l'émancipation de sa condition par l'entremise d'un travail créatif autour d'une activité culturelle en passant par un combat meurtrissant mais victorieux contre un cancer. A travers ces combats et à travers ses proches, amis, famille, relations, amours elle incarne un Brésil en pleine mutation et ce sont les objets qu'elle collectionne comme autant de souvenirs incarnés qui la rattache à son histoire et à celle de son pays.
Ainsi lorsqu'un consortium aussi prédateur que déshumanisé, aussi violent que sournois, aussi condescendant que vénéneux, cherche par tous les moyens, y compris les plus abjects à lui faire quitter son appartement, théâtre pour elle de tous ses souvenirs et luttes passées et présentes, l'on assiste à un duel homérique. La toute puissance libérale, amorale, retorse, face à la détermination, la fierté en porte étendard -confinant parfois à l'absurde - et c'est aussi par extension, un portrait du Brésil d'aujourd'hui que nous invite à contempler Kleber MENDONCA FILHO. Un Brésil qui sous le prétexte d'une marche forcée vers une modernité conjuguée avec l'effacement de son histoire tend à ce propos à ostraciser toujours plus celles et ceux qui n'ont pas les moyens financiers pour résister et sont condamnés à voir ce qui fait leur histoire, ce qui marque leurs souvenirs disparaitre.
Malgré une durée de plus de 2 heures, jamais on ne s'ennuie et la poésie mémorielle qui se dégage de la mise en scène couplée à la sourde violence du propos de base nous embarque sans jamais tomber dans le souligné. Néanmoins on a le sentiment qu'à un moment le film ne sait comment conclure son idée et nous offre un double retournement de situation, des sortes de "Deus ex machina" quelque peu tirés par les cheveux pour enfin finir. Un bémol qui personnellement lui coûte le point qui en aurait fait un grand film.
Fable social à la brésilienne comprenez que malgré le sujet l'ensemble est coloré, joyeux, musical - la bande son est source d'un plaisir et d'un contentement total, la scène d'ouverture rythmée par le "Under pressure" de Queen m'a accroché immédiatement - multiethnique et profondément, viscéralement ensoleillé tant dans l'atmosphère que les cœurs.