Le propos et le fond du film sont passionnants, mais prennent la forme d'un récit longtemps ennuyeux. Dans ce portrait glaçant d'un sociopathe, d'une indéniable modernité en 1977 et d'une belle pertinence aujourd'hui encore, Alain Jessua choisit inexplicablement de s'attarder sur les interminables préparatifs du bonhomme, pour épouser la forme du thriller.
A mon humble avis, cette longue déambulation d'un "terroriste" préparant son forfait, en alternance avec la traque menée parallèlement par les autorités, ne fonctionne pas vraiment.
Je n'ai guère été captivé par ce récit lent et mollasson, j'ai suivi passivement les quelques péripéties criminelles (le maître chanteur étouffé sous la douche, l'électrocution des deux prostitué(e)s...), et c'est surtout la ballade touristique à travers les capitales européennes, au son d'Astor Piazzola, qui m'aura permis de m'accrocher (ainsi qu'un vrai travail sur le montage)..
Il faut dire que l'interprétation n'est pas irréprochable, entre certains seconds rôles à la ramasse et un Alain Delon moyennement crédible en psychiatre quasi-devin, qui n'hésite pas à escalader les toits pour sauver les jolies cinglées topless en détresse.
Par ailleurs, j'ai beaucoup lu que Jean Yanne était extraordinaire dans son rôle, pour ma part je l'ai trouvé correct mais pas transcendant, tandis que Renato Salvatori et Michel Duchaussoy n'ont pas grand chose à jouer.
Je me montre sévère mais si j'ai malgré tout donné la moyenne, c'est que "Armaguedon" a aussi des qualités, qui explosent dans un dernier quart d'heure très réussi, lorsque le film se confronte enfin à son sujet. On retrouve alors la verve singulière d'Alain Jessua, qui renoue avec le thème principal de son cinéma, à savoir l'aliénation de l'individu par la collectivité.
Le discours final de Jean Yanne touche au cœur, et sa mise en scène au beau milieu d'une émission télé débilisante est une très belle idée. On assiste alors aux meilleures scènes du film : le plan final sur Salvatori, le public qui ridiculise le propos du terroriste, avant de se marcher dessus pour s'enfuir avant les autres, quitte à laisser sur le carreau des enfants ou des vieillards.
On comprends alors vers qui Jessua dirige son empathie, entre un paumé solitaire finalement trop humain, et une foule de français moyens formatés par la bêtise et l'individualisme.
Quel dommage que cette dernière partie survienne si tardivement. On se souvient alors pourquoi Jessua est un cinéaste si sympathique et iconoclaste, à contre-courant de la majorité bien-pensante. Cela dit, après avoir vu quatre films du bonhomme, le seul qui m'ait vraiment enthousiasmé reste "Paradis pour tous", les autres voyant leurs bonnes idées cohabiter avec des choix narratifs discutables, à l'image de cet "Armaguédon".