Je n'ai pas vu le précédent film de Rodrigo Sorogoyen, mais avais bien apprécié « Que Dios nos persone » et « El reino », offrant notamment quelques scènes d'une rare intensité, c'était donc en toute logique que je ne voulais manquer ce nouveau thriller s'annonçant très tendu. Qu'écrire ? Je m'attendais à autre chose. Plus de violence, d'intensité du début à la fin. J'en suis sorti légèrement frustré. Pour autant, il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer les qualités d'une œuvre sortant des sentiers battus, bousculant à plusieurs reprises les schémas habituels. Au-delà du contexte rural, agricole, se déroulant dans un village galicien filmé, éclairé avec talent et précision au point de presque nous y sentir physiquement, il y a une évidente volonté de créer une ambiance lourde, pesante, où la colère, la haine semblent pouvoir exploser à n'importe quel moment.
Il est alors d'autant plus intéressant d'observer les réactions des uns et des autres, leurs échanges, voir comment un conflit assez banal devient une véritable poudrière où certains cherchent des solutions, d'autres font tout pour atteindre le point de non-retour tandis que l'immense majorité jouent aux singes de la sagesse, amenant ainsi à l'irréparable. Le cinéaste, tout en bougeant très peu sa caméra, n'a pas son pareil pour créer une atmosphère parfois suffocante, y compris dans des scènes a priori « anodines », faisant d'une simple marche ou d'une discussion virile des sommets de stress, n'hésitant pas, si cela lui paraît nécessaire, d'étirer certains passages (deux pour être précis) sur dix ou quinze minutes, de façon plutôt justifiée (bon, surtout celle avec les deux frères).
Difficile également de ne pas parler de l'énorme rebondissement en milieu (deux tiers?) de film, bouleversant totalement la narration et le ton de celui-ci, d'autant qu'il est suivi par une ellipse foudroyante ajoutant au choc. De vrais partis pris, donc, audacieux, le récit perdant en densité ce qu'il gagne en émotion discrète. J'ai moins accroché, même si ce tournant se justifie totalement. C'est un peu long sans être ennuyeux, pouvant compter sur des personnages forts, complexes et excellemment interprétés : présence massive de Denis Ménochet, impossibilité de deviner le passé comique de Marina Foïs si on ne le connait pas à l'avance tant elle est impeccable, un duo Luis Zahera - Diego Anido saisissant (surtout le premier, impressionnant), donnant à cette tragédie très réaliste une angoisse sourde, profonde. À défaut du très grand film espéré, un des titres de l'année et assurément l'un des plus marquants.