Erratic movie
Contrairement à ce que laissent supposer les arguments développés lors de la promotion du film, orchestrée principalement autour de la présence symbolique et dénudée de Nicole Kidman, Babygirl n’est...
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le 15 janv. 2025
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En préambule à cette diatribe que vous vous apprêtez à lire, je veux préciser un point primordial sur mon rapport moral à une œuvre, ici de cinéma, c'est que je n'ai aucun problème à aimer des films dont le sujet peut susciter la polémique, pour moi il n'y a aucun thème dont voudrait s'emparer un cinéaste qui ne mérite pas d'être traité et je n'ai pas davantage de réticences ou d'objections à ce qu'on me fasse le portrait de personnages méprisables. J'ajoute que si je n'attend certainement pas d'un film qu'il me dicte ma pensée, j'attend par contre qu'il pose une critique, un point de vue, un discours sur le sujet ou ses personnages. Critique, point de vue ou discours qui me permettront ensuite d'ouvrir ma réflexion et ma pensée en y adhérant ou en la rejetant selon mes affects et mes valeurs. Deux exemples : Barry Lyndon, qui je le redis est mon film préféré, et qui pourtant a comme héros central un homme aux comportements plus que discutables; BAC Nord qui dans sa façon de traiter son sujet est aux antipodes de ma sensibilité, que ce soit son traitement des banlieues ou celui de l'institution police, je suis en désaccord sur tout, il n'empêche que les qualités cinématographiques du film sont indéniables.
Second point, avant de démolir l'ensemble, si vous souhaitez voir ce film qui fait grand bruit sans trop en savoir, je vous assure que vous avez des choses bien plus passionnantes à faire mais soit, revenez lire cette critique après, car pour étayer mes arguments, je vais spoiler sans vergogne.
Halina REIJN se lance avec ce projet dans ce qu'on pourrait appeler une inversion des tropismes quant aux descriptions sociologiques de fantasmes sexuels habituellement dévolus à la gent masculine, comme pour nous rappeler que les femmes aussi peuvent avoir des désirs de sexualités "déviantes", les guillemets sont importants, car si ce que nous montre le film est de l'ordre du déviant, j'ai deux trois copines à leur présenter qui risquent de leur provoquer des ruptures d'anévrismes et quelques adresses de lieux dédiés à ces pratiques où je leur conseille amicalement d'aller la culotte protégée de la meilleure couche au risque sinon de tout lâcher. Ceci dit et sans généraliser entre cette terre du protestantisme qu'est la Hollande, patrie de la cinéaste et les Etats-Unis landes du puritanisme le plus bête hérité du "Mayflower", cachez ce sein que je ne saurais voir, est-il finalement si étonnant que ce postulat d'examen du vice de la pratique du cul sans volonté de procréation échoue ? La perversion dans une approche janséniste.
Pourtant les premières minutes du film pouvaient laisser augurer de quelque chose de vraiment insolent, de réellement trouble et pourquoi pas d'effectivement stimulant.
Gros plan sur le visage de Nicole KIDMAN en plein coït avec les petits gémissements attendus en pareille situation, coupe, Kidman aka Romy se précipite sur son ordinateur pour se terminer devant un porno et atteindre l'orgasme. Déjà ça interpelle le spectateur que je suis, cette femme manifeste une insatisfaction sexuelle évidente, cette ouverture éclaire quelque chose de l'ordre de la frustration, qu'effectivement nous avait été annoncé dès le synopsis et dans toute la promotion, cette femme s'emmerde au lit avec son mari et la rencontre future avec celui qui va enfin la bousculer promet d'être volcanique, la rousse incendiaire va se faire mettre le feu !
Le choix du porno qu'elle regarde n'est pas non plus anodin, car sans nous le montrer en images à l'écran, on ne va pas risquer la censure, il est néanmoins très clair dans sa retranscription sonore qu'on est dans la catégorie de la soumission. On entend distinctement l'acteur en action demander à celle qu'il besogne ce qu'elle compte faire de tout le sperme que son papa (oui) va lui éjaculer dessus ? C'est pas une vidéo de BDSM c'est "Family Role Play", "Papa, maman, la bonne et moi" et il faudra que le film soit bien solide sur ses appuis avec une telle entame, qui doit amener à un discours. Sinon c'est gratuit et sans intérêt et même symptomatique du ratage total qu'il sera au final. Une autre scène qui elle aussi intervient assez tôt dans le film et qui dans ce qu'elle symbolise obligeait la réalisatrice et laissait encore mon espoir d'un bon film exister avant la déconvenue. Kidman et son mari interprété par Antonio BANDERAS (ou pas) sont dans le lit conjugal et ce dernier manifeste le désir d'un rapport avec sa femme, que celle ci ne refuse pas, mais elle lui exprime, avec beaucoup de pincettes et de retenue, ne choquons pas la calviniste de base, son désir d'un rapport plus en phase avec ses fantasmes. Attention quand je vous dis que c'est la perversion et la déviance niveau zéro, je n'exagère pas, elle cache son visage sous son oreiller de soie et espère sans jamais vraiment le verbaliser que son ectoplasme de mari va lui dire des mots sales et si la folie les mènent à une levrette, que celui ci lui mettra une petite fessée sur le joufflu … embarrassé à deux doigts de faire venir un médecin pour constater que madame déraille, il finit par lui dire qu'il n'en est pas capable, qu'il ne conçoit, ni ne veut envisager l'amour avec elle ainsi et si il est tentant d'en rire, cela exprime néanmoins une notion primordiale et qui est au cœur de biens des affaires de mœurs actuelles, le consentement. Retenez bien ceci, car vous verrez à la fin du film, il y a un truc qui me titille et même me dérange dans la conclusion de cet arc.
Il est grand temps qu'enfin intervienne celui qu'on attend tous, celui qui va faire de cette femme puissante, de cette femme accomplie dans son métier, dirigeante exigeante, qui domine son monde, la dominée aux ordres et prête à toutes les soumissions qu'il exigera d'elle. Pour en revenir à l'inversion des tropismes évoquée plus haut, le cliché du grand PDG qui le lundi soir paye une maitresse SM pour lui faire ressentir le frisson de l'obéissance, mais le PDG c'est une femme. Qu'en fait ou qu'en dit le film ? Rien !
Cette relation "bordeline" est elle crédible ? Non. Je suis désolé, mais à un moment si tu veux mettre en scène un personnage, homme ou femme qu'importe, qui incarne quelque chose de la domination, quelqu'un qui porte l'assurance du donneur d'ordres qui va conduire les ébats, il faut que ce soit retranscrit dans ses paroles, sa gestuelle, son comportement. Là on a un jeune mec qui tient plus de l'insolent que d'autre chose, c'est l'adolescent en pleine crise hormonale qui teste les limites de la patience parentale. "C'est moi qui dit, puis si tu fais pas comme je dis, je te parle plus." Le mec ne sait pas ce qu'il veut, il observe jusqu'où il peut pousser le bouchon, il s'étonne même au point d'en rire de façon gênée que ces paroles soient sorties de sa bouche. Je vais faire un parallèle qui tient de la cascade réservée à des professionnels et à ne pas reproduire seuls chez vous, mais tout comme pour vivre pleinement une première expérience avec le LSD il vaut mieux le faire accompagné de quelqu'un déjà rompu à l'exercice, une première expérience de relation sado masochiste, fusse t'elle soft, il vaut mieux là aussi la partager avec quelqu'un doué d'un minimum de bagages. Pardon, mais entre elle qui fantasme mais n'ose pas et lui qui ne sait pas trop jusqu'où aller, alors il boude, ça devient ridicule.
Il y a peut-être finalement une erreur de casting, beaucoup de critiques s'enflamment pour la prestation de Nicole Kidman, pour moi elle fait une performance pour plaire aux Oscar, mais ne délivre pas un grand rôle, mais je pense que c'est dans le choix de son antagoniste Harris DICKINSON qu'il y a un souci, et à mon avis ils sont pluriels les soucis. D'abord pour que j'achète que ce jeune blanc bec qui a du quitter sa maman la veille, soit en pouvoir de jouer activement la domination, il me faut quelqu'un d'un peu plus de caractère que l'acteur choisit. Un physique avantageux ne fait pas de vous un expert ès soumissions sexuelles.
Ce miscast soulève aussi deux autres problèmes dont l'un découle de l'autre. Le film tente dans un discours méta qu'il foire parce qu'il ne l'approfondit pas assez une réflexion sur la peur de vieillir qu'ont certaines femmes et l'idée de faire jouer cela à Kidman dont on commente assez les nombreuses interventions chirurgicales qu'elle a subi, y compris en incluant une séance d'injection de botox, est alléchant mais la suite logique de cette réflexion dans le contexte du film où elle est sensée s'épanouir avec un homme beaucoup plus jeune qu'elle suppose un questionnement sur la femme couguar. Or dans ce type de relations, la femme n'est pas dominée bien au contraire, elle incarne la force de la persuasion, elle incarne la femme qui a trouvé son indépendance affective et cherche en séduisant des hommes plus jeunes, non pas à se rassurer sur ses charmes mais à asseoir sa liberté.
Du coup là ça ne peut pas fonctionner puisque si on creuse cet axe de narration, le postulat de départ du film s'effondre, la femme ne désir plus être soumise, au contraire elle veut affirmer sa force et ses choix d'indépendances vis à vis de ses partenaires. Cette dichotomie pose même la question de l'utilité du personnage de ce stagiaire et de son rôle dans la quête d'épanouissement de cette patronne.
Vous conviendrez que lorsqu'on en est à supposer que le deuxième personnage clef de votre film, soit ne sert à rien, soit contredit tout ou partie des thèmes que vous tentez d'aborder, il y a un gros problème ? Parce qu'alors si effectivement c'est un discours sur les fantasmes d'une femme de pouvoir que veut être ce film, cette envie respectable de lâcher prise dans l'intimité d'une relation extra conjugale elle ne peut advenir avec un partenaire aussi indécis, surtout si cette indécision est conséquence évidente de son immaturité affective.
Le film en plus bégaye, se perd dans des répétitions inutiles au cas où on ne comprendrait pas, s'appuie sur une symbolique d'une épaisseur indigeste, lui faire laper du lait dans une écuelle pour que les traces blanches sur ses lèvres suggèrent autre chose, oink ! Oink ! La scène ridicule de la rave party, oui parce que comme dans tous les films indé des années 2020 il y la figure imposée de la scène où le personnage en quête de réponses se perd dans la musique durant une fête, donc là on en a un bel exemple, où notre frustrée du cul constatant l'écart qu'il y a entre ces jeunes qui vivent pleinement et elle qui se sent coincée dans les conventions et tout à coup le déclic (un ecstasy dans son verre ?) elle vit sa meilleure vie. J'ai pas pu m'empêcher de rire devant tant de ridicule.
Photographie correcte mais pas mémorable, mise en scène outrée qui parfois semble même juger de façon négative son héroïne, et je reviens donc sur l'axe d'avec le mari qui rappelez vous avait clairement exprimé son refus de pratiquer une telle sexualité. Il finit par apprendre la relation qu'entretient sa femme et la teneur de celle ci, colère de l'homme trompé, mise au ban de l'indélicate et puis les choses se tassent, les protagonistes verbalisent leurs ressentis et comme encore une fois c'est la version rigoriste et puritaine de ce que serait la perversion il faut une fin morale. Alors comme le plus important c'est l'institution du mariage, la femme va gentiment regagner ses pénates, le lit conjugal pour sauver l'essentiel, hypocrise je crie ton nom, mais pire pour paraitre moderne il fait une concession. C'est à dire que le non consentement clairement exprimé tant à l'oral que dans les actes par le mari vis à vis de ces pratiques est balayé, dorénavant il approuvera et consentira aux désirs de madame.
Imaginons un instant que ce soit un homme qui décide de rentrer rejoindre son épouse après avoir expérimentée les frissons de sa sexualité et que son épouse ayant exprimé son non consentement soit dans le seul but de lui plaire finalement forcée à pratiquer ce qu'elle avait refusé, toutes les féministes et toutes les personnes un minimum sensées auraient crié au scandale et avec raison ! A une époque encore une fois où nombreuses sont les victimes d'abus sexuels qui essaient de faire admettre que leur consentement n'était pas plein et entier, faire faire ce retournement de position à ce personnage est insultant. Un fin intelligente et moderne aurait été par exemple de dire que d'accord le couple légitime se remet ensemble parce que les enfants, parce qu'ils s'aiment, que c'est un mauvais baiseur mais que sa discussion l'enchante, qu'ils ont tant en commun qu'ils ne conçoivent pas vivre éloignés l'un de l'autre, mais qu'elle s'octroie le droit de vivre ailleurs sa sexualité, qu'en 2025 il n'est pas ubuesque de séparer l'acte sexuel des sentiments. Là oui j'aurais pu parler de ce film comme d'un nanar ridicule mais qui était juste raté et pas comme d'un film mauvais car problématique sur ses discours de dame catéchèse qui colle l'avertissement "parental advisory explicit lyrics" sur tout ce qui n'est pas repris texto de la Bible.
N'hésitez pas à me dire si vous avez aimé ce film et si pour vous j'ai raté des éléments ou mal interprété d'autres, mais soignez vos arguments si vous voulez me convaincre.
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le 20 janv. 2025
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