Babygirl
5.3
Babygirl

Film de Halina Reijn (2024)

Que dire à part que c’est fade. Je n’avais pas eu cette sensation depuis The Substance, cette sensation de tromperie. C’est toujours la même manière d’ériger des sujets respectables pour finalement les avilir.


Mais en fait, cette cause respectable, je la connais bien : c’est celle que j’ai vue chez Verhoeven, Buñuel, Tsukamoto et j’en passe. Cette thématique maintes et maintes fois reprise de la femme bourgeoise qui se dévoile sexuellement, je l’ai vue plein de fois. C’est un sous-genre à part entière que je connais. J’ai pu y déceler chez chacun une manière d’aborder cette thématique, du plus faible, en reprenant le schéma narratif mais en imposant une vision artistique, au plus fort, en réinventant la manière dont se déroulerait l’intrigue dans le quotidien de ces femmes. Ici, ce n’est pas ça : c’est un film sans gaz qui ne décolle pas. Il ne décolle pas car il s’affiche dès le début dans un panel de scènes interchangeables avec chaque film de ce sous-genre. Les regards entre les protagonistes ou encore les photos typiques de la bonne famille réunie sont des poncifs cinématographiques à abolir. Sérieusement, ce début est calamiteux. J’annonce le paroxysme de cela dans la scène où Kidman se fait faire des injections, qui là démontre tout le didactisme par la non-ambition de réinventer quelque chose. En effet, on reconnaît l’actor’s studio réalisé en se grimant avec des injections, alors pourquoi faire une séquence complète pour nous surligner le fait que « oh, elle fait des injections, sa vie est superficielle », grâce à des gros plans sur ses parties du corps, comme si le spectateur était trop bête pour voir que cette femme est incontestablement rachitique. Comme d’habitude, quand ce n’est pas géré par Gus Van Sant, l’étape est un peu plus dure, la marche est un peu trop haute. Et j’en profite pour attester du traumatisme qu’a pu causer Kubrick avec les plans symétriques et toute autre bizarrerie de mise en scène, comme les gros plans caractéristiques qui s’affichent durant toute la première partie pour, encore une fois, nous enlever une corde de subtilité.En fait, je pense que pour extirper la platitude du récit, il aurait fallu créer une répétitivité au travers de plusieurs séquences (peut-être 5) montrant un refus catégorique de la femme. Cela serait passé de manière naturelle et aurait créé un contraste avec les scènes de sexe arrivant après. Malheureusement, aucun des deux ne se produit, et le rendu est juste inefficace.


Bon, à présent, rentrons dans le vif du sujet : je vais aborder ce qu’il y a de pertinent à relever dans ce film. Déjà, la condition bourgeoise de cette femme est finalement bien dissimulée et accordée au réel. Une sorte de soft-bourgeoisie qui peut se voir, par exemple, dans sa résidence secondaire, architecturalement parlant plutôt moderne avec du bon goût, ou bien dans les habits, un peu comme ce que j’avais énoncé pour La chambre d’à côté. Donc c’est un bon point (peut-être le seul) et la facette qui m’a fait confirmer cet état subtil sur la classe sociale plutôt centriste, ainsi que le fait qu’il y ait une collaboration avec des personnes noires mais uniquement sous forme de subordination. Tous les patrons, eux, sont blancs, tout comme notre protagoniste. Mais c’est un bien pour un mal, finalement. Je relève en effet que le film se positionne dans l’incompréhension des rapports de force de la réalité. C’est un film bête sur la condition des travailleurs, ce qui fait qu’il y a une valorisation de la protagoniste au détriment du réel. Je trouve ça bête et puéril de penser que, dans le statut confortable dans lequel se trouve le personnage de Kidman, des stagiaires ou des personnes racisées en dessous de cette dernière hiérarchiquement puissent l’effrayer au point de la démettre de ses fonctions. Dans la réalité, ce n’est pas cela. Les rapports de force sont plus complexes pour l’employé. Alors il y a un certain mépris vis-à-vis du réel, mais cela aurait pu être intéressant et développer une nouveauté dans ce sous-genre par la faculté d’aborder le travail dans la classe filmée. Il n’en est rien, et le film va même plus loin, s’écartant des contraintes matérielles de la réalité, comme cela devrait normalement se passer, par exemple lors de la scène de la boîte de nuit où l’immersion est inefficace. D’abord, cet exemple est pertinent car il ne prend pas en compte la difficulté d’une foule pour retrouver un individu, afin de faciliter son récit, et dans un second temps, le tout est superficiel car les concepts de toucher, de transpiration, sont soustraits. Une scène de ce calibre réussie serait dans The Smell of Us de Larry Clark par exemple, où tout est imprégnant et réussi : cette crasse, ce désordre, cela marche, on ressent le fait d’être collé aux individus.


Le film annule aussi la réalité en ne mettant pas de réelles scènes de sexe, finalement. Ce n’est même pas une sorte de subversivité qui devrait intervenir : c’est juste le naturalisme d’une scène. Nous avons trop banalisé le fait de ne pas montrer le sexe. Eh bien si, il le faut, car c’est ce qui se passe matériellement. À la manière d’un Kechiche (avec Mektoub, My Love), un film qui veut aborder le sexe doit le montrer sous tous ses angles, sans confession, en s’éloignant de tout esprit puritain. Ce film ne fait donc pas cela car il décide de mettre des scènes de sexe sous forme d’ellipses avec une petite musique dessus, sans jamais simplement montrer les choses de manière simple sur plusieurs plans pour exprimer la répétition. Dans un sens, le film se soustrait encore à la réalité en faisant cela, car il décide de ne pas faire intervenir la notion de conséquence. C’est parce qu’elle a décidé de faire ces choses malsaines qu’il arrive ceci, cela. Le film ne s’en soucie pas, alors on ne peut pas se représenter matériellement les choses, et les scènes censées être de tension sont un naufrage total car nous ne connaissons pas la teneur ou la gravité des actes commis. Par exemple, les scènes de conflit physique entre Jacob et Samuel. C’est aussi un échec car, au vu de l’acteur choisi pour incarner le rôle du prédateur, en tant que spectateur, on ressent une frustration de ne pas voir ce qu’il a donné au vu de la manière dont il est grandement érigé. Surtout qu’il y a tout de même de la nuance dans son personnage, qui n’est pas non plus entièrement initié à ce type de fantasme et reste hésitant par moments. Les répliques où il tente de manipuler Romy sont aussi très fidèles à la réalité et plutôt subtiles.


Pour conclure, nous sommes sur un film que je n’ai pas aimé. À l’image de The Substance, les thématiques sont mal exploitées car beaucoup trop simplement montrées sous forme de schémas narratifs et de mises en scènes déjà vues des dizaines de fois. Tout est éculé et le film ne se démarque à aucun moment, le classant dans les films oubliables. Ma plus grande frustration réside dans la volonté de ne pas montrer de scènes de sexe tandis que cela aurait dû être le cœur du film, en somme son alimentation. Voilà, c’est à peu près tout.

PachaPitou
3
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le 26 janv. 2025

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