Avant de voir Benni, j'imaginais la mise en fiction un peu facile du destin d'un(e) enfant que la vie n'a pas épargné(e). J'imaginais que la caméra l'envelopperait de douceur, j'imaginais que l'attendrissement et le misérabilisme seraient constamment de la partie. Je me disais que la bienveillance serait de mise, et je pensais sortir de la salle avec une note d'espoir, prête à me dire que la rupture avec le système familial n'est pas nécessairement une fatalité.
Eh bien...
Comment parler de Benni, après que toutes mes attentes se soient vues bouleversées ?
Si les questions de l'éducation et du social ne vous intéressent pas, passez votre chemin. Si la construction -et la destruction- psychologiques dès l'enfance ne vous touchent pas, vous ne trouverez aucun intérêt à ce film.
Car c'est bel et bien du chemin d'une sensibilité et d'un rapport au monde déviants, malades, dont il est question. D'un cycle infernal et vicieux, d'une douleur si profonde qu'elle prend la forme d'un tourbillon et écrase en son centre tout ce(ux) qui se trouve(nt) sur son passage.
Benni est broyée. Benni broie. Et nous avec.
Son personnage est écrit avec une telle justesse que j'ai revu en cette petite fille mes amis d'enfance de l'école, qui venaient de ce que l'on appelait vulgairement alors, les "nids". Leurs cris, leurs colères, leurs larmes s'exprimaient à une fréquence régulière, ils explosaient à la moindre contrariété, nous laissant tous parfaitement muets et dans un sentiment inexplicable d'incapacité à intervenir. Difficile à l'époque de comprendre leur désespoir, puisqu'eux mêmes n'arrivaient pas à l'exprimer avec des mots. Et c'est de cela dont Benni est constitué. De sentiments brûlants et sans filtre, d'un magma de lave débordant qu'aucun barrage ne saurait retenir.
Si vous n'avez pas peur de pleurer et d'être en colère, de vous recroqueviller sur vous-mêmes et de vous boucher les oreilles tant certaines scènes sont insoutenables, allez voir Benni. Allez donc voir ce que peut être le quotidien d'un enfant dont les fondations sont pourries jusqu'à la moelle.
Il existe également au scénario certaines séquences qui me semblent être de l'ordre de la facilité, quelques évidences, quelques actions que l'on devine à l'avance, ce qui peut parfois me déranger au cinéma. Mais je crois qu'ici, ce qu'il y a à retenir est au-delà de la forme cinématographique. Etonnant à dire à propos d'un film de fiction, j'en conviens, mais le sujet y est si important que l'on est prêt à fermer les yeux sur les maladresses, dans le seul et unique but de se concentrer sur ses propres émotions.
Benni est le premier film que j'aie revu dans une salle de cinéma depuis ce que l'Histoire appellera bientôt "the great confinement". Inutile après tous ces mots de préciser à quel point il me rappelle que l'expérience cinématographique est bouleversante et essentielle, qu'elle vient réveiller en nous des sensations incroyables et inédites et, que pour les amoureux des histoires sur grand écran, comme moi, le cinéma, tant dans le fond et dans la forme, est une aventure unique de partage d'émotions qui a une place fondamentale dans notre société, au même titre que n'importe quelle forme d'art.