Souvent, j’enseigne à mes élèves l’art de la description, elle leur donne des éléments pour mieux saisir les œuvres et ainsi construire leur opinion. Je pense que c’est toujours une chose essentielle de développer ce sens propre à la critique. Le film dont il est question aujourd’hui, Bird d’Andrea Arnold, fait sans doute partie de ces films qui résistent le moins à la description, puisque chaque image est le produit d’une réflexion minutieuse, peut-être même trop minutieuse. Vous pourriez me demander, comment ça trop ? Comment c’est possible qu’un film soit trop réfléchi ? Je peux répondre de manière laconique; elle empêche l’expression spontanée de son art. J’y reviendrai.
Le titre Bird évoque moins les différentes espèces de volatiles, mais cela on s’en doutait, qu’une image mentale et réflexive provoquée à leurs vues. Andrea Arnold nous submerge de plans de vols d’oiseaux, parfois un seul volatile en plein vol. Et lorsqu’on est en vol, que voit-on ? Des personnes… ces minuscules points mouvants impossibles à distinguer, faisant partie d’un grand tout intégré dans un horizon uniforme, dans le contexte du film, des tours et encore des tours. Voler permet une vue d’ensemble, mais aussi une idée de liberté, une liberté fantasmée mais liberté tout de même, une sécurité, car en vol on est à l’abri, enfin, c’est ce qu’on croit. Le plan sur les éoliennes laisse d’ailleurs songeur, puis filmer un volatile seul ou une volée n’a pas la même signification.
Ce que la réalisatrice nous chuchote à travers ces images, sans le dire verbalement, est la description de l’intériorité psychique de la jeune Bailey sur son rapport à son environnement : elle y est à la fois intégrée et détachée, fine observatrice, parfois mélancolique, puis dans la seconde moitié du film pleinement actrice, comme si elle avait finalement retrouvé les pieds sur terre en arrêtant ses caprices pour affronter son monde et grandir. En bref, il s’agit de la quête initiatique du passage de l’enfance au monde adulte.
La limite de l’exercice, bien que j’aime Andrea Arnold, enfin, une certaine Andrea Arnold, est peut-être d’avoir mal dosé son cocktail. J’ai presque envie de dire que trop de suggestion tue la suggestion. Par exemple, elle crée un bestiaire : des araignées, des oiseaux, des mouches, des papillons, des chevaux, un crapaud. Il est plongé dans des couleurs ternes, marron, vertes, bleu/vertes, grises, avec des touches de couleurs excessivement vives pour attirer l’oeil, qui peignent un environnement urbain humide, sale, vétuste, jonché de détritus, presque pestilentiel, dangereux, peuplé d’individus malades. Andrea Arnold nous dit simplement : nous sommes dans un marécage. Cette évocation revient plus tard dans le film lorsqu’on apprend que la mère de Bird, le jeune homme un peu étrange, venait du marécage, un lieu existant dans le film, et qu’elle y est retournée pour disparaître. Toute l’idée du film est ici : la jeune Bailey finira-t-elle avalée par ce marais boueux ou bien y trouvera-t-elle sa place ? Mais, Arnold, n’a t-elle pas trop utilisée cette formule ?
Dans Les Hauts de Hurlevent, elle avait réussi quelque chose d’unique en donnant un retour haptique au corps, ce qui signifie que l’on saisissait par l’écran tout ce qu’un corps physique peut ressentir : le vent dans les cheveux, la texture au toucher, l’odeur des animaux, les sentiments ressentis par le corps avec l’entremise de l’image. Notre corps était envahi par des sensations brutes, nous rapprochant de notre animalité. Il y a, chez Arnold, dans sa manière de concevoir ses films, quelque chose qui relève de la bête. Ici, sans doute a-t-elle voulu réitérer cette forme cinématographique qui lui avait réussi par le passé. Alors, ce serait excessif de dire que Bird est un film raté, mais il a ses limites et j’ai été moins emballé que d’autres personnes. Le film est bon, mais il ne laissera pas une marque importante dans mon esprit.