Cette chère Anne Fontaine, elle a le talent pour bien choisir des sujets excitants sur le papier, mais la médiocrité pour en donner un résultat raté. Ce qui fait que maintenant quand je regarde un de ses ratages, c'est uniquement attiré par le sujet (avec, peut-être, l'espoir naïf qu'accidentellement, elle peut accoucher de quelque chose de bon !).
Étant un grand admirateur de Maurice Ravel, je n'ai pas pu me retenir d'aller voir ce Boléro. Ce qui est triste, c'est que cet artiste de génie est, pour la très grande majorité des gens, associé à une seule œuvre, celle qui donne son titre au film.
Que ce soit bien clair, j'adore le Boléro. J'ai un plaisir immense à l'écouter et à le réécouter. La manière prodigieuse, avec laquelle le compositeur, sur une même mesure lancinante, avec divers instruments se succédant, tout en faisant graduellement monter le rythme avant que tout se désarticule pour ensuite s'effondrer d'une façon fulgurante, ne cesse de m'éblouir.
Mais je trouve triste, qu'à cause de l'immense renommée mondiale de cette musique de ballet, bien d'autres pépites du grand Monsieur, tout aussi magistrales, voire plus, soient tombées dans l'oubli.
Reste que je ne peux pas, sur ça, blâmer la réalisatrice d'avoir choisi de se concentrer particulièrement sur ce morceau. Au cinéma, il y a des impératifs commerciaux. En outre, tout ce qui tourne autour de l'élaboration de ce Boléro est passionnant.
Par contre, ce que je ne pardonne pas, c'est son très gros lot de maladresses d'écriture qui vient ensevelir l'ensemble.
L'introduction (qui a été mise là, je ne sais pourquoi, surtout quand on regarde la suite, au lieu de suivre l'ordre chronologique pour pouvoir bien suivre l'avancée dans l'écriture !) nous montre Maurice Ravel faisant visiter une usine à la commanditaire de la composition, la danseuse Ida Rubinstein. Il lui fait comprendre que les bruits provoqués par les machines sont des sources d'inspiration pour lui.
Cool, si on se fie au propos de ce début, le long-métrage va nous faire comprendre comment les idées, ayant permis le résultat final, sont venues à l'esprit du Maître. Tiens, tel bruit offre l'idée de tel son. Tiens, telle situation offre l'idée de tel autre son.
Euh non... On va certes avoir de courtes scènes de ce type, mais apparaissant trop sporadiquement, par à-coups, le plus souvent sans explication de comment lui est venu l'idée. Le tout ne parvient jamais (ou plutôt n'essaye pas !) d'entrer dans l'esprit de Ravel, possédé par sa seule maîtresse. Bordel, le septième art étant visuel et sonore par excellence, il y a des possibilités infinies pour illustrer cela.
Non, à la place, on a des séquences, pour la plupart des flashbacks, inutiles et hors-sujet (en parlant de hors-sujet, autant que j'en profite pour dire que le chat dans le film est trop mimi !), comme celles avec la mère (offrant, en plus, la mort la plus mal jouée de l'histoire du cinéma depuis Marion Cotillard dans The Dark Knight Rises !), celles lors d'une tournée aux États-Unis, où il découvre le jazz qui va avoir une influence sur lui, celles où il perd à chaque fois le Prix de Rome ou lorsqu'il était ambulancier durant la Première Guerre mondiale.
Séquences inutiles parce qu'elles ne cadrent pas du tout avec l'angle d'attaque initial (oui, dans un biopic, il est essentiel d'avoir un angle d'attaque pour ne pas s'éparpiller !), à savoir la création du Boléro, ou, du moins, ne mettent pas en relief en quoi ces expériences de vie auraient eu un rôle (artistiquement ou psychologiquement !) dans le processus créatif de l'œuvre en question.
Bon, il y a quelques bons trucs disséminés par-ci, par là, comme le fait de souligner que Maurice Ravel est asexuel (d'où les raisons d'être, dans le récit, des personnages de Misia Sert et d'Ida Rubinstein, pour cette dernière, au-delà de son rôle de commanditaire !), pour mettre en avant qu'en étant vu comme une ode à la sensualité, la création a échappé à son créateur.
Après le triomphe de la première (avec un montage qui essaye de suivre tant bien que mal, plutôt mal que bien, n'est pas Bob Fosse qui veut, la vitesse de l'interprétation... et je sais que les danseuses étoiles sont capables de faire des prouesses incroyables, mais les accélérés, du type à la télécommande sur son canapé, n'en font pas partie !) le film insiste encore plus sur cet aspect, quand il est suggéré que, pour le commun des mortels, la postérité du compositeur (qui vit alors un cruel crépuscule, car rendu incapable de continuer à composer par la maladie !) va résider quasi uniquement dans cette œuvre. Le film se serait terminé là, en plaçant le générique de début (avec un montage d'interprétations, à travers plusieurs époques, dans différents styles musicaux et dans les quatre coins du monde, du morceau !) à la fin (oui, c'était là qu'il fallait faire entendre et ressentir l'universalité et l'intemporalité de l'œuvre... on ne fout pas la charrue avant les bœufs, bordel !) pour appuyer définitivement ce fait incontestable, ben, je n'aurais pas eu l'impression que ça se conclue sur une note négative.
Malheureusement, Anne Fontaine étant une médiocre, ne pouvant s'empêcher d'être une médiocre jusqu'au bout, ajoute une scène, d'une débilité profonde (qui, pour l'avouer, m'a énervé !), dans laquelle Ravel, comme au paradis, fait jouer, par un orchestre, sa composition la plus célèbre (avec un teubé en tennis qui gesticule dans tous les sens, en supplément !), qu'il y trouve son plaisir suprême. Le message qui en ressort, c'est que l'œuvre entière de Ravel se résume juste au Boléro, qu'il n'a existé que pour le Boléro. Ravel au paradis aurait peut-être préféré diriger Ma mère l'Oye, Daphnis et Chloé ou encore Pavane pour une infante défunte... Non ? Non ?
Euh, que la postérité de l'artiste, comme cela a été mentionné auparavant, réside, en dehors des mélomanes, quasi uniquement dans ce morceau, c'est malheureusement incontestable. Par contre, suggérer qu'il n'est que cela, non, non et non. C'est une insulte faite à ce géant.
Bref, Boléro, c'est le génie traité par la médiocrité.