Une vraie bascule. Tournage mouvementé, dernier film américain de Roman Polanski avant son crime et son obligation de s'exiler en Europe, une sorte de crépuscule annonçant la fin d'une certaine idée d'Hollywood et du cinéma... « Chinatown » est un scénario original et pourtant, on jurerait qu'il est adapté d'un classique du roman noir tant tous les éléments y sont. Reste que lorsqu'on regarde de plus près, on se rend compte que si tous les ingrédients sont là, y compris dans l'intrigue parfois inutilement complexe autour du contrôle de l'eau, chacun d'entre eux est perverti par le scénario presque diabolique de Robert Towne et la réalisation aussi classique que racée de Polanski, ponctuée par quelques scènes inoubliables, où le talent de celui-ci explose, trouvant son paroxysme lors d'un dénouement aussi
brutal que déchirant (et qui semble annoncer, 36 ans plus tôt, celui de « The Ghost Writer »).
À la fois très « old school » concernant l'époque (l'action se déroule en 1937), cette logique de privé à la ramasse et de femme fatale beaucoup plus fragile qu'elle n'en a l'air, la couleur (même si le splendide travail de John A. Alonzo (et apparemment du grand Stanley Cortez) s'inscrit, lui, aussi, plutôt dans une logique rétro), la violence, l'impuissance, la dimension aussi
malsaine que terrifiante
de la révélation finale le placent, au contraire, pleinement dans cette logique du Nouvel Hollywood dont, Jack Nicholson, brillant, était l'un des plus célèbres représentants.
Je suis moins convaincu par la prestation de Faye Dunaway, ne semblant pas vraiment à sa place dans cet univers, ce qui aurait pu être une force mais devient surtout problématique, expliquant peut-être la très mauvaise entente avec l'auteur de « Rosemary's Baby » (surtout lorsqu'on apprend que Jane Fonda a refusé le rôle : elle aurait été magnifique). En revanche, le choix de John Huston, auteur de quelques classiques du genre, pour interpréter cet industriel puissant
et diabolique,
est plus que judicieux. « Chinatown » ou le fruit d'une époque révolue, probable métaphore d'un septième art en pleine mutation et au pessimisme revendiqué : ce « testament américain » de Roman Polanski a une place décidément particulière dans l'Histoire du cinéma.