En cette période où le cinéma d'action étatsunien convulse, ce n'est pas une mauvaise chose que, ces derniers temps, les distributeurs hexagonaux se rappellent aux bons plaisirs de HongKong.
Il faut dire que ce City of Darkness semblait totalement taillé pour ça : un film qui reprend les bons vieux codes des grands succès internationaux de ces dernières décennies. De la bonne grosse baston à l'ancienne dans des décors démesurés et improbables. Une réalisation pleine d'emphase pour magnifier ses héros et ses lieux. Bref, tous les classiques semblaient mobilisés et affichés pour rappeler aux grandes forces du cinéma d'action made in HK... Et je dois bien avouer que, dans ce contexte cinématographiquement maussade, ça a su faire son effet sur le cinéphile blasé que je suis.
Ah ça ! Qu'il fait du bien ce retour aux fondamentaux ! Alors c'est sûr que niveau subtilité du scénario et des personnages, le film affiche rapidement son intention de ne pas réinventer l'eau chaude. On se contente d'un canevas basique fait de méchants malfrats d'opérette d'un côté, de nobles malfrats chevaleresques de l'autre et – au milieu de tout ça – le pauvre héros exilé qui n'a rien demandé à personne et qui saura trouver le salut auprès du gang le plus vertueux.
Pas de quoi casser trois pattes à un canard mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas ce qu'on demande au film ; ou du moins ce n'est pas ce qu'il promet. Non, la proposition de ce City of Darkness est tout autre et elle tient en un lieu – un lieu annoncé par le titre : la fameuse « citadelle » urbaine de Kowloon.
Sur ce seul aspect-là, le film tient ses promesses et exécute avec zèle et soin son office. Putain que ça fait du bien de voir un espace aussi bien narré ! On renoue vraiment aussi avec les fondamentaux du cinéma d'action qui consistent à jouer avec les espaces. Rappelons-nous de ce combat d'anthologie dans le grand cellier à grains dans Il était une fois en Chine, de l'exploration de la Nakatomi Plaza sous toutes ses coutures dans Piège de cristal ou bien encore de l'exposition minutieuse de tous les détails des vastes sous-marins lanceurs d'engins dans À la poursuite d'octobre rouge, parce qu'on a vraiment affaire à ce même genre de philosophie-là avec ce City of Darkness.
L'action n'est qu'un prétexte à la dissection de la bête et, fort heureusement, la grande lisibilité de la réalisation permet une visite guidée à la fois fluide et nerveuse, palpitante et vivante. Au fond les personnages archétypaux deviennent vite des préoccupations secondaires sitôt constate-t-on à quel point ils parviennent à donner vie à cette bête faite de béton, de câbles et ferrailles.
Chaque plan regorge de détails. Ça fourmille de partout. Un vrai régal de ce point de vue. Régal qui excuse vraiment toutes les légèretés de la narration tant celles-ci répondraient presque – elle aussi – d'une forme de nostalgie cinématographique.
...Et puis le film a commencé à basculer dans sa seconde moitié. C'est là que le temps a commencé à devenir très long. C'est là où la forteresse de béton a commencé à s'effriter.
Je me souviens de cette scène de confrontation que je croyais être la scène finale...
(Celle où Chau vient dans la citadelle pour réclamer la mort de Lok malgré la protection de Cyclone.)
J'ai regardé ma montre : le film n'en était qu'à une grosse heure. Il en restait encore une autre à dérouler. À ce moment-là, je le souviens avoir grimacé. Et malheureusement, j'ai eu raison.
La deuxième moitié de ce film, c'est clairement celle où on ne respecte plus rien et où les tares qu'on voulait ignorer jusqu'à présent prennent vraiment le dessus. Et franchement, elles ne le font pas qu'un peu. C'est juste submergeant.
La manière niaise de traiter la bonne camaraderie de la citadelle vous semblait excessive ? Ce n'est rien comparé au final dans lequel on sombre dans le shônen bien gras.
Idem, les méchants en mode gros sac qui ne sait pas porter de manteau ou bien ceux qui ont des looks de pauvre guignol à coupe de mulet qui ricanent tout le temps, est-ce que ça vous gavait au début du film ? Eh bien dans ce cas – sachez-le – vous n'êtes juste pas pour le reste !
Et les combats ? Vous trouviez ça too much, les combats ? Mes pauvres... La dernière demi-heure vous achèvera.
A ce niveau de ridicule-là, c'est juste épique.
Parce que ça va quand même jusqu'à faire en sorte que certains personnages aient des super pouvoirs hein ! LITTÉRALEMENT !
C'est bien simple : tout ce qui aurait pu être perçu comme une note d'intention respectant les archétypes du genre est balayé par le plus vulgaire des pets.
Mr Big qui est ventripotent et jamais charismatique pour un sou ; son art pour ne jamais réussir à se fringuer avec goût ; son côté m'as-tu-vu totalement inopérant ; et son acolyte – King – qui est consternant de vacuité et de mauvais goût ; vous pensiez que c'était pour moquer une nouvelle génération de gangsters, vendus au HongKong moderne, sans classe, en opposition au gangsters à l'ancienne plus proche des vieilles traditions ? Moi, en tout cas, je le pensais. Alors quand j'ai commencé à voir tout ce petit monde combattre d'abord à la façon d'un Shaolin Soccer puis d'un Dragon Ball Z, j'ai juste lâché l'affaire. Non, en fait tout le monde est bad ass. L'important c'est le show et la narration, au final, on s'en bat les steaks.
Les mecs se font transpercer de toutes parts, avalent des charbons ardents (véridique), traversent huit murs et dévalent trente étages dans leur chute mais continuent malgré tout le combat...
Comment veux-tu que j'accorde un minimum d'intérêt à ça, franchement ?
Qu'on me ressorte un vieil archétype, OK. Qu'on me prenne pour un con en oubliant de raconter quelque chose, c'est tout de suite moins mon trip.
Aussi a-t-il vraiment fallu que je me raccroche à ce que j'ai pu pour que, à la fin de ce film, je n'ai pas cette impression d'avoir au bout du compte perdu mon temps.
D'ailleurs, presque comme un signe que le film s'est lui même rendu compte qu'il était allé trop loin, il se conclut en nous rappelant à ce qui faisait initialement son cœur d'intérêt : son lieu. Ses détails. Sa vie.
Et vas-y qu'en plus de ça, il nous badigeonne tout ça d'une petite bande originale tout ce qu'il y a de plus honnête de la part de Kenji Kawaii (effet nostalgique garanti) et voilà comment ce City of Darkness et moi, on s'est malgré tout quitté bon copain. Ou plutôt non – n'exagérons pas non plus : disons plutôt qu'on s'est quitté sans haine.
Comme quoi, au bout du compte, ce n'est peut-être pas que le cinéma ricain qui est en crise...
Y a pas à dire, elle est bien belle leur mondialisation...