Soi Cheang sort d’un Limbo aussi imparfait, sur des questions de rythme notamment, qu’esthétiquement époustouflant et d’un Mad Fate dont j’ai dû me passer en raison de sa très faible distribution. Changement de genre pour cette nouvelle réalisation passée par Cannes, l’action pure et dure made in Hong Kong, de quoi faire rêver en somme. Autant le dire, tous les voyants étaient au vert depuis sa diffusion sur la croisette, ce City of Darkness était bien parti pour être le vrai coup de maître de son réalisateur.


Légers spoils attention


Le film s’ouvre telle une grande saga en présentant la Citadelle de Kowloon comme un lieu aussi fascinant que dangereux, un environnement en dehors du temps où se livre une guerre de territoire sans merci. Il faut peu de temps avant de se rendre compte que la reconstitution de la Citadelle est bluffante. Soi Cheang a rassemblé un budget assez conséquent, ce qui explique le nombre étonnant de logos de production au début, afin de construire un décor tangible et crédible. Grâce en partie à ce travail remarquable, le cinéaste renoue avec la représentation des bas-fonds hongkongais dans Limbo. Cette Citadelle est loin d’être luxueuse, l’absence de couleurs la rend désincarnée et les ruelles sont poisseuses. Aucun élément du décor ne semble être à sa place, tout semble partiellement détruit et pour couronner le tout les espaces sont étroits et donc irrespirables. La portée politique introduite par un tel endroit participe à placer ce film au-dessus de la moyenne des films d’action. Kowloon est un repère de réfugiés et de laissés pour compte en tout genre, toutes les personnes à la recherche d’une seconde chance se réunissent dans cette cité marginale. Le cinéaste aime alors, c’est là que le film se différencie de Limbo, magnifier ses habitants, même les truands. Les simples civils sont souvent mis en avant dans des plans de coupe, ils apparaissent parfois comme les pauvres citoyens à sauver de la ville en péril dans un film de super-héros. Le protagoniste n’est ni plus ni moins qu’une victime du système qui le pousse à s’exiler dans la Citadelle qui par la force des choses finit gangster.


Le long-métrage construit une mythologie autour de la Citadelle. Elle est nourrie par le duel voué à devenir une légende entre Cyclone et le tueur du camp ennemi. Comme dans un bon Johnnie To, on est plongés dans le milieu des triades avec une galerie de personnages à la personnalité ou au design marqué et marquant. Cyclone est l’archétype du vieux patron qui cherche un hériter avant sa mort proche, déjà vu des centaines de fois vous allez me dire et vous n’aurez pas tort mais le réalisateur sait le rendre envoûtant en lui donnant ce côté sage et en entretenant le mythe autour du combat de sa vie. Le comédien, Louis Koo, apporte le charisme nécessaire. Son ennemi, M. Big, ne paie pas de mine, sa manière de gouverner est bien différente, il s’oppose en tout point à Cyclone et est un ennemi à sa hauteur. Son homme de main, King, constitue un antagoniste final dont le combo rire machiavélique et règne tyrannique ferait rougir un certain Eichiro Oda. Ce boss final est utilisé comme symbolique de la cité impénétrable car ses pouvoirs empêchent toute arme de l’atteindre, lorsque les protagonistes arrivent à briser le bouclier, ils arrivent également à pénétrer dans la cité et à en prendre le contrôle. Le personnage principal est accompagné d’un groupe d’amis dont les membres possèdent également une caractéristique sortant de l’ordinaire : VHS et son masque blanc, Shin et sa moto. Au milieu de la frénésie et la violence, se trouvent de vrais moments de tendresse et de camaraderie entre ce groupe de jeunes truands. Ces séquences laissent le spectateur respirer, elles donnent la sensation d’un ventre mou mais elles sont essentielles pour créer les enjeux et on se laisse charmés par ces copains que rien ne sépare.


Ma principale attente concernant City of Darkness était les séquences d’action et on constate que sur certains points, Hollywood a encore du mal à suivre la cadence asiatique. Kowloon est un terrain de jeu illimité pour Soi Cheang qui réalise des séquences nerveuses et spectaculaires. Il prend le meilleur de Tsui Hark et de John Woo pour un ensemble survitaminé et impressionnant. Les chorégraphies surhumaines du premier s’associent avec l’appétence pour la destruction des décors du deuxième et ce sont nos yeux les vainqueurs dans l’histoire. Le cinéaste renouvelle constamment ses scènes d’action en changeant à chaque affrontement la dynamique. Nous passons alors d’un personnage seul contre tous à un 4v1. À un moment l’action devient plus verticale, un autre moyen d’exploiter la Citadelle et ses bâtiments hauts. La brutalité des séquences vient toujours renforcer la malpropreté de l’environnement et les ralentis sont sciemment utilisés. Le plus jubilatoire dans toute cette effervescence est lorsque le film nous embarque dans un ultime tour de manège dans lequel Soi Cheang lâche les chiens pour un dernier élan de générosité. Je pense avoir eu des frissons durant la mise en place de ce climax. En plus d’être jouissives, les séquences d’action sont malignes dans le sens où le metteur en scène sait redynamiser son film en proposant toujours de nouveaux objectifs et des enjeux variés. Au départ, Chan Lok Kwan lutte pour rentrer dans la Citadelle, ensuite il le fait pour en sortir et au final il se bat pour y vivre. Ce qui était forcé devient un choix. Via ses scènes d’action, le réalisateur conte l’histoire d’une survie et d’une lutte acharnée pour vivre en paix au sein de la Citadelle de la dernière chance. Le développement du groupe d’amis s’établit également dans l’action, plus le film avance, plus ils sont enclins à se battre ensemble.


L’avant-dernier plan de l’œuvre, une plongée montrant le ciel puis une caméra qui se déplace tout en restant dans la Citdaelle afin de montrer les quatre amis qui ne quitteraient pour rien au monde Kowloon, rappelle l’importance d’un tel endroit dans l’histoire de Hong Kong. Soi Cheang réalise ici un film d’action aussi ambitieux que malin qui cache derrière ses séquences impressionnantes des thématiques sociales et politiques. Il a compris tout ce que doit être un film d’action. Il a réussi à combiner ses inspirations et sa personnalité pour nous offrir un vrai joyau.

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le 17 août 2024

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BestPanther

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