(Il est important de préciser que cette critique n'est en rien un avis pour donner envie d'aller voir le film : il s'agit d'une modeste analyse visant à décortiquer le film, à ne lire donc que si vous l'avez vu au préalable.)


Climax. Pourquoi ce titre plutôt qu'un autre ? Lorsqu'on parle de narration, un climax représente l'apogée de l'histoire, le moment où la tension dramatique se retrouve à son comble. Où situer alors le climax d'un tel film quand la moitié de son déroulement porte l'intensité à son summum ? C'est bien simple, et c'est exceptionnel : le climax du film, c'est le film en lui-même. C'est cette seconde partie filmée en 40 minutes, qui occupe tout autant de temps dans la narration du film. C'est ce moment, si long à subir et pourtant court dans l'histoire, ce moment de basculement total des sensations, des émotions, des corps, des passions, et finalement de la caméra. Climax est donc un titre parfaitement adapté à un film qui a pour but de nous immerger au plus profond de la narration ; et cela en quelques étapes.


Première étape : l'amorce


Une étape qui n'est pas nécessaire puisque généralement, le simple nom de Noé sur l'affiche constitue une amorce suffisante : on s'attend à ce que le film soit brutal, sans concessions, cru. Dur à regarder, que ce soit par les images qu'il y montre ou par les sujets qu'il aborde.
Si l'on ne connaît toutefois pas Noé, l'amorce devient essentielle, et fait office d'avertissement : « Attention, je n'ai pas fait un film pour que vous passiez un bon moment. Vous pouvez encore partir ».
Deux logos : la Quinzaine des Réalisateurs 2019, Arte. Une seule différence avec le logo originel : ils sont rouges. Rouge : la couleur du cinéma de Noé, le cinéma des passions et de la violence. Le cinéma du sexe et de la mort.
On passe alors du rouge au blanc, avec une plongée totale dans la neige. Au milieu, une jeune fille en débardeur qui titube dans cette grande étendue blanche, pure. Une douce musique, une adaptation des gymnopédies d'Erik Satie, hypnotisante.
Et quelque chose qui ne va pas : un chien aboie au loin. La démarche de la demoiselle, son débardeur au milieu de cette étendue froide. Et soudain, ses pleurs, ses cris. Elle se roule dans la neige, qui se tache alors de sang : de nouveau, le rouge de Noé, qui sera une fois de plus la couleur de son film.
Et une amorce qui nous explique ce que va ici faire Noé : il va prendre quelque chose d'aussi magnifique que la neige sous Satie, et va le salir violemment, le rendre insoutenable. Plaisir psychopathe ? Peut-être un peu oui.. Peut-être qu'il faut ne pas être complètement sain d'esprit pour réaliser ce genre de films, peut-être qu'il ne faut pas l'être non plus pour l'apprécier. Mais peut-être qu'il est également important d'avoir quelqu'un qui nous rappelle avec la brutalité la plus crue que tout ne se passe toujours pas comme prévu, que les choses belles peuvent se corrompre si facilement, et que toute chose a en elle-même le potentiel de se détruire.
Personnellement, je crois que Noé est l'inverse d'un psychopathe : c'est un empathique. Dans l'interview qu'il donne à cineserie, il déclare : « dans mes films, je mets mes peurs, mes désirs, conscients ou inconscients ». Il les assume, et s'il marque à chaque fois, c'est parce qu'on reconnaît dans son cinéma des choses qu'on essaie d'enfouir, des passions, des fascinations morbides. Si l'on est autant marqué, c'est parce qu'on a de l'empathie pour ceux qu'on voie à l'écran, et parce que la manière de filmer de Noé est paradoxalement profondément chaleureuse, toujours au plus prêt et au plus profond des personnages, bien qu'elle pointe des histoires particulièrement difficiles. Lorsqu'on suit un personnage de Noé, on est nous-même un personnage de Noé.


Deuxième étape : présentation des personnages


Dans une séquence qui dure moins d'une dizaine de minutes, on va à la rencontre de ceux que l'on va suivre pendant le film. Plan fixe, on regarde des interviews à travers un téléviseur. Autour, des livres, des films. Des influences de Noé : Lynch, Argento, Bunuel, Pasolini, Romero ; de la littérature philosophique, de la littérature cinématographique. Certains accusent Noé d'être prétentieux en étalant sa culture, mais il n'en est rien. Ce n'est pas ici un clin d'oeil adressé à ceux qui auront identifié toutes les œuvres, non c'est une liste donnée avec la plus grande générosité. Vous appréciez mon cinéma ? Il est tiré de tout ce que vous voyez ici. Foncez. Nul besoin pour autant d'avoir vu aucun des films des réalisateurs cités pour comprendre le cinéma de Noé. Ce n'est pas un cinéma de la référence, mais un cinéma de la synthèse. Il faut ici n'y voir qu'un encouragement à se pencher sur toutes ces œuvres - encouragement qui plus est tout à fait pertinent. Noé, c'est juste un amoureux qui veut montrer à tout le monde ce qu'il aime, et je ne trouve là-dedans rien de prétentieux.
Présentation des personnages donc. Au travers de quelques réponses courtes, on évoque les thématiques du film. On va parler de danse, ça c'est certain puisque l'on a en face de nous une troupe de danseurs extrêmement motivés. On va parler de drogue, on va parler de sexualité, on va parler de tout ça. On ne retient que quelques visages, parce qu'on nous présente ici plus d'une vingtaine de protagonistes, et on s'accroche aux moindres signes distinctifs : deux berlinoises blondes, un frère et une sœur, des gays, des hétéros, des séducteurs, des caïds. Derrière la caméra, la chorégraphe et le DJ posent les questions, sans qu'on voie leurs visages.
Quelques informations sont disséminées, sans qu'on sache encore l'importance que cela aura sur la suite. On retient Omar qui croit au paradis, parce qu'on se doute qu'on va avoir droit au chaos lors de la suite. On retient Ivana et Psyche les deux berlinoises - ne serait-ce que parce qu'elles parlent anglais contrairement aux autres protagonistes - et si l'on sait que le titre annoncé de Climax était psyché, on peut se demander quelle importance aura la seconde, qui a quitté Berlin à cause de la drogue omniprésente. On retient Cyborg et Rocco qui sont plus intéressés par les filles (et très occasionnellement les garçons ?) qu'autre chose. On retient Alaia qui a pris de la coke, "juste une fois". On retient ces deux amis qui n'ont jamais travaillé avec des gays. On retient Gazelle et Taylor, sœur et frère unis par la danse.
Et pour l'instant, on n'a aucune idée de qui aura de l'importance, de qu'est-ce qu'il fallait retenir. Parce que Gaspar Noé aime tous ses personnages, et a envie qu'on les connaisse tous, quelle que soit leur importance dans le récit.


Troisième étape : ce qu'on va corrompre


Après la plongée verticale, et le plan fixe, on s'essaie à une caméra plus mobile, plus chaleureuse. Sur fond de musique électro des années 90 défilent les logos des autres sociétés de production. Et soudain, en lettre capitales devant un drapeau français à paillettes : «un film français et fier de l'être ». Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce que Noé se mettrait à la politique ? Pas du tout : Noé a cet art du premier degré qui horripile ses détracteurs. Lorsqu'il présente un film français et fier de l'être, cela ne veut rien dire de plus que ce que ça dit : que les fonds proviennent de société françaises, que l'équipe du film est française et que ça fait plaisir à Noé d'avoir pu réaliser un tel film en France, car ça n'a pas été le cas de tous ses films, qui ont été à plusieurs reprises tournés en langue étrangère. D'ailleurs moi aussi, ça me fait plaisir qu'il aie pu réaliser un tel film ici, parce que ça veut dire qu'on peut en espérer d'autres. Et puis, accuser un réalisateur italo-franco-argentin de nationalisme, faut pas non plus déconner. D'autant plus que la représentation de la France que va ici nous offrir Noé ne correspond pas forcément aux canons patriotiques : une France black-blanc-beur de mœurs variés, avec même deux Allemandes dans le lot.


La caméra descend et rentrent alors dans le champ autour d'une table de mixage deux personnages que l'on avait pas vu dans les vidéos de présentation : Daddy le DJ, et la chorégraphe Selva incarnée par la magnifique Sofia Boutella. Commence alors dans une ambiance rougeâtre une chorégraphie exceptionnelle, seule séquence véritablement répétée de tout le film. Dans un plan-séquence virtuose aux mouvements de caméras d'une pertinence rare, la grosse vingtaine de danseurs va nous montrer ses performances. Impossible de s'ennuyer, il y a tant à voir sur l'écran. Pour un néophyte de l'art de la danse comme moi, cette séquence est un plaisir, et je ne cache pas être allé ensuite visionner de nombreuses vidéos des trois danses principales utilisées dans le film : le sensuel voguing, le brutal krump et l'envoûtant waacking. Trois choix de danses qui montrent sans ambiguité les thématiques chères à Noé, donc.
Que dire de ce plan ? C'est magnifique, et c'est l'une des plus belles scènes de danse collective au cinéma.
Alors, tout à coup, on repense à l'amorce : maintenant, on sait quelle est cette belle chose qu'on va détruire. Ces corps si magnifiques qui semblent devenir autre chose dans la danse, cette unité et cette cohésion merveilleuse, tout cela va sans doute se métamorphoser brutalement dans la suite de la soirée.


Quatrième étape : le décor, quelques indices


A la fin de la danse, le plan séquence continue et l'on peut enfin, au bout d'un quart d'heure de film, voir les personnages en interaction les uns avec les autres. On nous dissémine quelques informations pour mieux connaître les personnages. Emmanuelle, la chorégraphe jeune mère a préparé de la sangria et laisse son fils danser un peu avant de l'envoyer se coucher. Omar et Lou ne boivent pas. David essaie de draguer Selva. Taylor se montre trop possessif envers sa petite sœur gazelle. Lou s'inquiète pour l'enfant d'Emmanuelle, trouve que ce n'est pas un bon environnement pour un enfant, discute d'avortement avec Selva. Quelques informations disséminées ça et là par une caméra qui agit comme un témoin de la soirée qui se balade au gré des conversations, toutes ayant leur importance.
Et on entrevoit également d'autres éléments du décor présenté lors de la chorégraphie : la table avec la sangria, essentielle au film, mais aussi les coulisses en fond, sombres et mystérieux. Sans nous en montrer trop, la caméra nous indique déjà qu'il y a plus dans ce décor que cette simple salle fermée et que les personnages vont se faire un (dé)plaisir de nous les faire visiter plus tard.


Cinquième étape : discussions


Noé a besoin pour son récit que nous développions une réelle empathie envers les personnages, ou tout du moins que nous les connaissions, et surtout que nous soyions là nous aussi physiquement lors de cette soirée. Quoi de mieux pour cela que de nous les faire découvrir via une succession de petits tableaux mettant en scène des discussions tout à fait ordinaires entre deux ou trois personnages ? Encore un nouvel usage de la caméra à travers de petites scènes en plan fixe. Les scènes sont courtes, pas toutes utiles au récit mais toutes nécessaires au développement de l'empathie. Et elles sont surtout nécessaires a montrer que la si belle unité dont on parlait tout a l'heure n'est qu'une façade pleine de fissures. On entrevoit de l’intérêt, de la jalousie, de la médisance, de la convoitise et de la méfiance. Pas forcément plus que dans n'importe quel groupe social certes mais c'est déjà trop tard. La neige blanche est salie.
On comprend un peu mieux qui ils sont : Emmanuelle la jeune mère qui rêve d'être une « bonne maman », le couple de lesbiennes allemandes en froid, la cokée, le frère décidément bien trop jaloux de la relation de sa sœur avec Omar, le puceau... Tout cela rythmé par la discussion des deux cousins qui s'imaginent le sexe en termes crus avec chacun des membres du groupe. Parce qu'un groupe de jeunes entre 20 et 25 ans qui font la fête, ça parle de cul, et parfois de manière dégoûtante. Parce que Gaspar Noé le sait, et qu'il n'exprime aucune pudeur mal placée. Parce que ce qu'il veut c'est que le spectateur se sente partie de cette fête, que cela lui rappelle des souvenirs, des conversations qu'il a entendu ou auxquelles il a participé... Et ça fonctionne.


Les discussions se terminent sur une nouvelle séquence de danse en plongée, fonctionnant comme une ellipse. On comprend rien qu'à voir ces corps bouger de nouveau que les esprits s'échauffent, que l'alcool fait son effet, que la soirée avance. L'enfant est couché, les adultes font la fête et ce qu'ils savent faire de mieux : danser.
La caméra tourne autour de ce sol rouge et à nouveau : générique. Parce que Gaspar Noé apporte un soin tout particulier dans ses génériques et qu'il aime que le public les regarde, il place donc ici le nom de ses acteurs et de l'équipe au milieu du film. Cela fonctionne comme l'ultime avertissement : jusque là, mon film était agréable à regarder, vous faisait voir de belles choses. Si vous ne voulez pas voir se détruire ces choses, c'est votre dernière chance de partir.


Sixième étape : CLIMAX


Et nous y voilà enfin. Le générique nous a apporté l'ellipse nécessaire, reprenons donc la suite des événements, nous voilà donc dans le dernier acte, qui est un climax à lui tout seul. Un plan séquence d'une quarantaine de minutes qui va nous faire vivre un véritable cauchemar.
La séquence s'ouvre sur un plan de la sangria, bien trop long pour être anodin, qui est là pour faire comprendre à ceux qui n'auraient pas lu le pitch du film (c'est généralement mon cas) de l'importance que cette boisson entretient dans le scénario. La musique a changé, bien loin des rythmes tapageurs de la première moitié du film, plus douce, plus étrange.
Tout le monde semble ivre, trop ivre. Il commence à se passer des choses anormales, anodines mais anormales.
Alaia cherche de la coke. David, pourtant hétéro, se laisse plus ou moins faire quand il se fait draguer par Riley. Psyché urine au milieu de la salle de danse.


Petit à petit, les personnages se rendent alors compte que la sangria a été droguée, et le cauchemar commence chez ces êtres aux facultés altérées, paniqués par ce qui se passe.
Très vite alors, tout dégénère. En quelques minutes, on devient témoin de la déchéance affreuse de ces danseurs pour qui on commençait à développer des émotions, qu'elles soient positives ou non. L'ambiance se fait pesante, et on commence à paniquer de concert avec les personnages, sauf que nos facultés de raisonnement à nous sont encore intactes. On ne peut alors qu'assister impuissant au spectacle qui s'offre à nous quand s'enchaînent les décisions aussi irrationnelles que destructrices.
Il faut d'abord trouver un coupable. Emmanuelle, qui a préparé la sangria ? Non, s'exclame Taylor, le grand frère protecteur abusif, c'est Omar bien sûr qui est le seul à ne pas avoir bu. Allez, on le fout dehors en pleine tempête de neige, bien fait pour sa gueule et bon débarras. A une époque sans moyen de communication, dans un lieu isolé, il n'a que peu de chances de survie en passant la nuit sous la neige. Et puis soudain, merde, l'enfant est redescendu et est en train de boire de la sangria : sa mère l'emmène vite le mettre à l'abri, l'enferme à clé dans le local électrique malgré ses hurlements d'incompréhension et de panique.
Et on rejoint Lou, qui n'a pas bu non plus, et qui nous apprend qu'elle est enceinte. Mais ça ne suffit pas à l'impulsive Dom qui trouve en elle une nouvelle coupable, et on roue de coups Lou, on la frappe au ventre, la laissant hurlante sur le sol. Un flash de Seul contre tous, le premier long-métrage de Noé nous revient en tête. Dans le couloir, Alaia provoque la cokée en train de se défoncer qui lui avait pourtant dit qu'elle n'avait rien sur elle et explose de rire quand ses cheveux prennent feu à cause d'un réchaud allumé.
Lou rejoint la salle de danse pour demander des comptes à Dom et se retrouve en enfer : la musique a changé, installant une ambiance morbide. Chacun est dans son monde, et des danseurs sont plongés dans une transe démoniaque, désarticulant leurs corps dans des rictus effrayants. Les corps étaient synonymes de beauté, ils deviennent synonymes d'effroi. On entend l'enfant hurler, enfermé dans son local électrique et toujours les cris de la grande brûlée, que Lou essaie d'ignorer pour régler ses comptes. Quand Dom annonce qu'en fait, c'est sûrement Lou qui les a drogué et qu'en plus cette mytho fait croire qu'elle est enceinte, elle est livrée à la vindicte populaire. Elle saisit un couteau pour se défendre et face à tous ceux qui lui hurlent de se tuer s'entaille les bras, le visage, dans une folie collective macabre.
La caméra ne s'attardera pas sur ces personnages : Omar, l'enfant, l'incendiée, Lou. Jusqu'à la fin, on ne pourra être sûrs qu'ils aient survécu ou non, on entendra seulement parfois des cris au loin sans toujours pouvoir identifier de qui il s'agit.
Mais ce n'est pas ça le pire. Le pire, c'est que tous les autres personnages y sont indifférents. Ils sont dans un autre monde, complètement déconnectés, aliénés. Au pire, ils encouragent avec amusement ou avec haine ces actes sans se rendre compte de leur gravité, au mieux ils restent sur la piste de danse dans une transe macabre. Les quelques rares qui se préoccupent de ce qui se passe autour d'eux ne sont pas ceux, on s'en doute, qui vont passer la meilleure soirée.


S'ensuit une scène centrée sur Selva qui serait difficile à regarder dans n'importe quel autre film mais elle fait presque office de souffle après ce qu'on vient de voir. On observe les effets de la drogue purs et durs : panique, euphorie, plénitude, paranoïa.
Puis on revient dans la piste de danse et le cauchemar recommence : Emmanuelle a perdu la clé du local électrique dans lequel son fils continue de hurler, des danseurs désarticulés ont investis chaque pièce du bâtiment. Taylor casse la gueule de David qui a osé s'approcher de sa sœur. Daddy est pris dans une transe qui semble tout autant jouissive pour lui qu'elle est terrifiante pour nous. Ivana, indifférente à ce qui se passe autour d'elle essaie d'emmener Selva dans sa chambre.


Et soudain, les plombs sautent et l'enfant ne hurle plus. Emmanuelle devient complètement folle. Une danseuse est recroquevillée dans une douche et essaie de se débarasser du sang de Lou. Selva suit Ivana dans sa chambre et, indifférente au cauchemar qu'elle vivait cinq minutes avant, se laisse détendre et déshabiller.
David devient notre nouveau personnage principal pour le dernier quart d'heure et déambule dans cette fin de soirée, croisant Daddy en train de réconforter Riley dont il a repoussé les avances, puis voyant Taylor en train d'embrasser sa sœur et de la tripoter sensuellement. On comprend avec horreur mieux la nature de sa jalousie, et tous retournent dans une salle de danse sombre, désormais éclairée seulement par une faible lumière rouge.


Et le chaos : la caméra se retourne, et virevolte entre les danseurs, entre Gazelle qui essaie de repousser son frère et David qui rampe en pleurant. Les corps sont devenus cauchemardesques, on ne sait plus ce qui relève de la danse ou de la transe, et tout le monde semble possédé. Ca rit, ça crie, ça hurle. Un couple fait l'amour frénétiquement à même le sol sans que personne n'y prête même attention. Psyché sourit au milieu de tout ça, extatique.


Noir.


Vivre est une impossibilité collective.
Et on le prend comme une évidence.


Une version instrumentale d'Angie des Stones débute, plus douce, plus mélodieuse que le reste des sons que l'on a entendu jusque là. Une musique de fin de soirée.
Une porte qui s'ouvre, trois individus en uniforme qui entrent avec un chien qui aboie en rythme. Un plan rapide sur chaque personnage dans cette ambiance un peu plus claire, macabrement douce. Psyché est la seule à encore danser lascivement sur la piste. David est allongé à moitié inconscient - peut-être même mort - la croix gammée rouge que Taylor lui a dessiné sur le front révélée par la lumière. Dom pleure dans un coin (regrettant ce qu'elle a fait ?), d'autres dorment en vrac sur des fauteuils, dans leur vomi, se grattent, hurlent. Le couple est enlacé, nus au milieu du sol. La cokée se passe de l'eau sur la moitié brûlée de son crâne en hurlant. Dans le local électrique, l'enfant est allongé à côté du boîtier. Est-il mort ? Dort-il ? Difficile d'en être certain. Les plombs ont peut-être sauté sans raison. De l'autre côté de la porte par contre, sa mère s'est donné la mort et baigne dans son sang.
Lou sort de la salle en hurlant. C'était donc elle que l'on a vu au début.


Mourir est une expérience extraordinaire nous dit un nouveau texte. Et ce que Noé entend par là, c'est à prendre une nouvelle fois au premier degré. Cela n'arrive qu'une fois dans la vie de mourir. Cela ne signifie rien de plus.
Le corps de Omar, sans vie, est recouvert par la neige.


Une danseuse s'est endormie recroquevillée dans la douche. Daddy et Riley dorment tout habillés dans un lit. Taylor et Gazelle également et Taylor lui tient la main en répétant qu'il ne s'est rien passé et de ne rien dire à papa. Selva et Ivana dorment, nue l'une contre l'autre.


Et Psyché, dans sa chambre se verse une goutte de LSD dans l'oeil. Psyché, qui a quitté Berlin à cause des drogues d'après sa vidéo d'introduction a semble-t-il du mal à s'en défaire. Je fais partie de ceux qui apprécient que les films gardent une part de mystère, et je n'aurai même pas été plus dérangé que cela si l'on n'avait pas su QUI avait versé du LSD dans la sangria. Mais maintenant qu'on sait, on s'interroge : pourquoi ? Ca ne semble pas cohérent, pourquoi faire cela ? Eh bien finalement, on peut imaginer un tas de raisons : sa relation avec Ivana est on ne peut plus insatisfaisante, elle est enfermée depuis trois jours avec des danseurs dont elle ne parle pas la langue et qu'elle n'apprécie pas forcément. On l'a vu, leur cohésion si belle quand il s'agit de danse n'est que façade quand on parle des réelles relations humaines. Lorsqu'on les laisse parler sincèrement, on voit que certaines amitiés sont intéressées, qu'il y a de la jalousie, parfois même de la haine gratuite. Finalement, on ne sait rien de ce qu'il s'est passé ces trois derniers jours... On peut légitimement imaginer que Psyché n'a pas passé un bon séjour, et a voulu s'amuser un peu aux dépens des autres.
On peut aussi s'imaginer que c'était un accident. Peut-être en a-t-elle versé seulement dans son verre. Peut-être dans le verre d'Ivana aussi qu'elle trouve "so boring" (et Ivana trouve Psyché "so fake", rien de moins étonnant qu'elle ne s'éclate que lorsqu'elle est complètement défoncée)... Sauf que les verres se plongent dans la sangria qui se mélange aux verres des autres. Est-il anodin que les premières secondes de la séquence du climax commencent par un verre qui plonge dans la sangria, qui plus est le verre d'Ivana ?
Mais mon hypothèse préférée reste celle-ci : Psyché a seulement voulu passer la meilleure soirée de sa vie. Comment imaginer que les choses dégénèrent ? Elle est coutumière de tout ça, et elle a juste voulu s'éclater au milieu d'une soirée folle. Et quand on voit son air extatique lors des derniers moments chaotiques dans le rouge, eh bien on comprend que l'objectif est atteint. C'est même le seul personnage de cette scène qui est agréable à observer.


Fin.


Et l'on se rend compte que l'on est tout recroquevillé sur son siège, que l'on a envie de pleurer. Qu'on a l'impression de s'être fait rouer de coups, que l'on est épuisé ; mais aussi qu'on est heureux d'être vivant. Parce que c'est ça que dit Climax : vous êtes vivants, et tout va bien. Profitez-en, et soyez vigilants. Tout peut basculer.
Petit-à-petit, on se remet. On regarde dehors : la lumière est normale. Pas d'ambiance rougeâtre terrifiante, pas ce blanc pur de la neige qui n'est plus rassurant du tout. Il n'y a pas de bruit. On entend encore Angie résonner dans notre tête, mais cela n'est déjà plus qu'un souvenir, qu'il sera hors de question d'oublier. On entend encore les discussions de ces excellents acteurs, et leurs cris.
Oui, Climax, ce n'était rien de plus qu'un film. Mais ce n'était rien de moins que du Cinéma.

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le 20 juil. 2019

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Heobar

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