La nuit, le moment où l’on peut fêter la vie tout comme la voir exploser

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L’entre-deux et l’ambigüité dans le registre abordé demeure l’une des caractéristiques propres à l’œuvre de Noé. Se succèdent en effet souvent, contemplation de moments de béatitudes et contemplation de moments infortunés. Comme nous avons pu le constater naguère, la nuit est le moment propice à l’évasion, autant physique que sensoriel. Dans les deux cas, une dimension macabre vient s’ajouter, aussi omnisciente et fatale que le passage vers la nuit est universel. Climax applique deux thématiques courante lors de l’évocation de la nuit : c’est à la fois, l’heure de faire la fête, une sorte de libération suivant une journée de travail, tout comme elle peut correspondre, souvent, au moment où les êtres, quel que soit leur âge et leur état de santé, rendent leur dernier souffle. En témoigne l’accroche accompagnant la promotion du film :



Naître et mourir sont des expériences extraordinaires.
Vivre est un plaisir fugitif.



Le principal fil conducteur de celui-ci s’avère être la furtivité de la vie, autant que celle à laquelle les gens se dissipent au moment où la nuit commence à tomber. Cinquième long-métrage du cinéaste, Climax prend place dans un gymnase à l’aube de l’ère du numérique ; un groupe de danseurs pratiquant contemporaine urbain bloqué par les intempéries et sans moyen de communiquer avec le monde extérieur, y organise une fête la veille d’une représentation aux États-Unis. Lorsque quelqu’un verse une substance illicite dans la boisson alcoolisée reine de la soirée, les jeunes gens plongent dans la démence, et ainsi débute une nuit cauchemardesque. Ce film bénéficie d’une direction d’acteur relativement libre dans la mesure où les danseurs, principales sources d’observation du spectateur, règnent en maître tout au long de la première partie du métrage, comme s’il s’agissait d’exprimer la décomposition d’une société éphémère – comme la nuit. Souvent considéré comme un long clip vidéo en raison de sa musicalité permanente, Climax bénéficie d’une séquence d’ouverture laissant un vaste champ de considérations vis-à-vis des nocturnes : après un générique novateur mais aux enjeux en filigrane, un texte apparaît à l’image : « […] présentent un film français et fier de l’être », orné en second plan par trois rideaux à l’effigie des couleurs du drapeau français. Débouche alors, sur une séquence chorégraphiée vivement colorée, où le rouge prédomine de nouveau, accompagnée par un morceau extra, puis diégétique, Supernature de Marc Cerrone, dont le texte fait justement allusion à une dualité entre la race humaine et une race monstrueuse devant son mal à la consommation de produits chimiques (le cœur de l’intrigue). En plus d’être un moment de fierté suprême, la nuit se dévoile ainsi comme le moment où l’Homme se bat contre son double monstrueux. Le cas échéant, la séquence est portée par une musique aux sonorités futuristes, en même temps que dansante, affirmant la dimension d’« ailleurs » que le cadre spatio-temporel, très réduit (une seule nuit, une seule salle) porte par-delà même de cette ouverture.


Dans la suite du film, se manifestent, çà et là, d’autres manifestations, plus virulentes, de la nuit en tant qu’objet d’évasion. En effet, cette première partie s’avère si riche en mouvements que « les personnages semblent ne plus être maîtres de leurs faits et gestes ». Lorsqu’intervient la séquence dans laquelle Selva, l’héroïne interprétée par Sofia Boutella, découvre la supercherie englobant les litres d’alcool, la nuit obtient alors toute sa dimension macabre : au moment où la nuit vire au cauchemar, une dualité entre l’intérieur et l’extérieur de la salle s’instaure. Au début de cette scène, un personnage masculin soupçonné d’avoir injecté de la substance illicite dans la boisson reine de cette soirée ; il est alors aussitôt éjecté dehors, et disparaît des radars. Les quelques plans nocturnes du film interviennent alors successivement ; on y éjecte les personnages un par un, équivalent à les éjecter vers un autre monde, dénué de sensations et de vie, autrement appelé, la mort. Le froid et les intempéries, l’obstacle sine qua non, trouve ici son intérêt culminant. Cette succession de nocturnes aboutit sur une scène jugée « […] profondément tragique, lorsque la folie s'attaque à quelqu'un d'innocent et commet l'irréparable. Le spectateur sait ce qu'il va se passer, on le voit venir et lorsque ça arrive, la réaction des gens rend le tout encore plus glauque, car [cela] les fait rire. ». Pour accentuer de surcroît cette couleur anarchique engendrée par les nocturnes, le film choisit le parti pris de monter ses crédits désordonnés, notamment avec cette fin, décousue, tenant le spectateur en haleine jusqu’à la dernière seconde et perpétuer le chaos : « à la fin, les images des dernières scènes sont à l’envers : l’effet escompté est sans doute de perturber le spectateur du début à la fin mais au-delà de ça, cela montre que le réalisateur va jusqu’à modifier la forme de son film afin de parvenir à un chaos visuel, à l’image de l’histoire de Climax. ».


Par rapport à Irréversible et Enter the Void, nous avons vu que Climax ne se privait pas pour faire de la nuit une allégorie directe de la mort. Dans les trois cas étudiés, les procédés aux effets hallucinogènes sont multipliés pour semer la terreur et l’annihilation de connexion entre fantasmes et visions de vie réelles. La nuit, les personnages se transforment, soumis à l’omnipotence nocturne, comme nous avons pu le démontrer. Par-delà, ils sont, soumis à une société en marge anarchique et se laissent, par moment, portés par leurs désirs personnels. Si Enter the Void multiplie les angles en tirant parti de sa durée de 145 minutes, Climax, d’une durée de 95 minutes, se révèle plus tranché dans son propos, moins suggestif. Par ailleurs, les deux films suivants du cinéaste, Lux Aeterna et Vortex, constituent également des points de vue intéressants dans leur traitement de la durée et des corps en mouvance. L’un est un moyen-métrage de 50 minutes, l’autre un long-métrage de 145 minutes traitant chacun à sa façon de la nuit en en tirant parti de la durée et d’un format en particulier. Nous pouvons à présent nous interroger sur la façon dont ces deux films mettent les nocturnes en valeur, et comment tirent-ils parti de la durée.

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le 28 sept. 2022

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