"Coup de torchon" est adapté d'un roman noir de Jim Thompson, traduit et publié dans "la Série Noire" sous le titre français "1275 âmes". Pour l'anecdote, c'est le fameux numéro 1000 de cette collection qui fera aussi l'objet d'une critique sur SC d'ici quelque temps (une fois que je l'aurai relu).
Vu d'un peu haut, l'adaptation au cinéma n'a pas grand-chose à voir avec le roman initial dont l'action se passe dans une ville reculée au Texas dans les années 1920. Tavernier aidé de Jean Aurenche ont transposé le roman en 1938 dans une colonie française de l'AOF.
Mais le fond de l'histoire est à peu près le même. Dans le roman, un shérif plutôt sympa est régulièrement bafoué par la population et ses proches et va finir par prendre des mesures radicales pour éliminer tout ce qui gêne. Dans le film, c'est un policier, Lucien Cordier, dans une petite ville au fin fond d'une savane, tout aussi bafoué et humilié qui va se croire autorisé finalement à faire de même.
Quand je dis que Lucien Cordier (Philippe Noiret) va se croire autorisé, c'est à la suite d'un double constat : il est bafoué par sa femme et par certains blancs qui le prennent pour un minable mais surtout il se rend compte qu'il ne peut en aucun cas appliquer une loi dite républicaine qui pourrait s'appliquer à tout le monde, blancs et noirs autochtones compris.
Le problème est la légalité de ce qu'il pourrait envisager d'entreprendre ; pour ce faire, il va dans la ville voisine où se trouve son chef (Guy Marchand) lui demander conseil. Conseil qu'il lui donne en lui bottant le derrière. Sans prendre conscience que par son "bon" conseil, il lui donne carte blanche (sans mauvais jeu de mot). Ainsi notre policier se sent alors investi d'une mission de "justice" qu'il va appliquer, façon ange exterminateur …
Mais ce qui est essentiel dans ce film et lui donne un cachet indéniable, c'est la galerie de personnages tous plus pittoresques et pervers les uns que les autres que le couple Tavernier – Aurenche nous a peaufiné.
Déjà Philippe Noiret est plutôt gratiné en policier manipulateur pour amener ses interlocuteurs dans les conditions d'une éradication propre dans laquelle il s'ingénie à se défausser.
L'épouse de Lucien Cordier est jouée par une Stéphane Audran dans le rôle d'une mégère haineuse à l'endroit de son mari et qui vit avec un beau-frère, un benêt, Nono, qui utilise un langage à lui, incompréhensif, digne de Queneau, comme "tu m'ombrages" … C'est un facétieux Eddy Mitchell qui s'y colle.
Le personnage de Rose, la maîtresse de Cordier et l'épouse de "l'infâme" Marcaillou. Séduisante, ordurière et obsédée par la chose, heureuse d'être libérée de son mari mais qui finit par prendre un peu trop de place, c'est Isabelle Huppert dans un rôle qui lui va comme un gant.
Michel Beaune dans le rôle d'un belge Vanderbrouck qui va se retrouver dans une grosse merde et surtout dans une scène très hilarante.
Jean-Pierre Marielle dans un double rôle de frères, maquereau et adjudant-chef
Jean Champion dans un savoureux rôle de curé qu'on voit en train de recrucifier un Christ sur la croix … Du Tavernier ou je ne m'y connais pas …
Et je dois sûrement en oublier
Au final, c'est bien un film noir, très sombre, mais traité de manière truculente avec des dialogues finement ciselés à l'arme lourde.
Bien dans l'esprit du roman où le narrateur (le shérif) n'a pas sa langue dans sa poche, non plus.