Après avoir enduré Les Harmonies Werckmeister, je partais avec une certaine appréhension à l'approche de Damnation dont le titre laisse déjà présager du pire.
Dans le premier, malgré un fatalisme évident, lequel entérine tout espoir d'un avenir radieux, luisait une lumière douce et fragile, émanant du personnage principal Jonas, jeune homme au cœur pur symbolisant l'innocence même. Cette touche d'optimisme, aussi éphémère soit-elle, a attisé en moi la curiosité d'approfondir cette expérience cinématographique avec le réalisateur hongrois.
Le film en lui-même est prétentieux dans sa plastique. Il fait l'éloge du moche en usant de plans fixes et de travelling d'une lenteur effroyable et ceci sans aucune modération.
Ceux-ci nous montrant principalement du rien, ce qui provoque un ennui mortel chez tout esthète qui se respecte. De ces images, rares sont celles qui dégagent quelque chose de lumineux, de chaud et de réconfortant. Si c'est le cas pendant un court instant, la scène suivante écrasera par sa noirceur toute les bonnes choses engrangées quelques minutes auparavant.
Il y a un décalage surprenant avec les dialogues, inégaux et souffrant d'une structure chaotique, mais qui pourtant font preuve d'une écriture soignée et sont même parfois vraiment émouvants et magnifiques, puis aussitôt gâchés par le reste.
Au milieu d'un monologue sans saveur, transpirant le malsain et la rupture, une phrase sortie d'on ne sait où jaillit sans prévenir. « On ne peut vivre sans amour et sans honneur » est lâchée en plein milieu d'un ramassis de conneries alors que son importance est fondamentale.
De la même façon, comment ne pas mentionner la fameuse déclaration d'amour, c'est sans doute la plus belle que j'ai entendue dans le 7ème art. Ému par celle-ci, j'ai osé espérer que le récit prenne un virage à 180° pour se diriger vers une finalité vertueuse. Ben non, au contraire. Il s'en suit une scène de sexe sans amour et sans passion, d'une froideur telle qu'on croirait deux steaks d'un Big Mac fusionnant ensemble sous le poids de la garniture bon marché.
Il n'y a peut-être que la musique, qui malgré sa mélancolie et sa redondance, n'en demeure pas moins harmonieuse.
Ainsi, le visionnage de Damnation m'a convaincu d'une chose, Bela Tarr est comme les plus grands cinéastes (Tarkovski, Oshii, Kubrick etc...), un idéaliste, un de ceux qui ont l'idée d'un monde où la beauté et l'amour se confondent à chaque instant et en chaque lieu. Chacun d'entre eux, à travers leurs regards d'artistes, voit pourtant de manière claire et irrécusable qu'il est à l'opposé de celui dans lequel nous vivons.
C'est à partir de cet amer constat que s'offre à nous deux possibilités distinctes et antinomiques.
- La première est de garder une fois et un espoir inébranlable dans les composantes essentielles de leurs utopies, tel que l'amour, la beauté, le pardon, le sacrifice et d'autres encore, même si tout les éléments semblent se déchaîner contre nous, de telle sorte que quelle que soit la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous puissions garder en nous cette volonté intacte. Tarkovski et Mamoru Oshii sont évidemment les deux figures de proue de ce cheminement, où leurs arts est la manifestation même de leurs idées de la sacralité. Terrence Malick que je n'ai pas encore cité et pour cause, est au-delà de la dialectique, ce dernier s'oubliant totalement pour se faire simple messager de l'absolu.
- L'autre est le lot de beaucoup d'entre nous. Terrassés par la laideur de ce qui les entoure, certains n'osent croire en la rédemption de l'humanité. S'en suit un cercle vicieux, duquel le désespoir grandissant laisse progressivement place à un fatalisme inéluctable. Certes, ils croient toujours en Dieu, à l'image de Kubrick, qui dans 2001 démontre sa soumission totale devant le divin. Cela explique qu'ils aient encore cette capacité à créer du beau. Pourtant ils ont perdu l'essentiel, la foi et l'espoir. De ce fait, même si leurs arts prennent toujours racine dans cette croyance aveugle, elle est viciée par leur lâcheté. Si j'exagérais les traits, je pourrais même les comparer aux faux prophètes, annonciateurs du jugement dernier et de la fin du monde, fruit de nos pêchés.
Vous vous demandez sans doute pourquoi j'ai autant digressé pour une simple critique. Je l'ai fait par honnêteté et cohérence. Même après avoir vu deux de ces films, je ne sais toujours pas dans quelle catégorie se situe Bela Tarr. Si c'est l'une ou l'autre, la motivation première de l'œuvre en devient diamétralement opposée. C'est pourquoi exposer deux visions ou plutôt l'une des deux motivations derrière cette création, s'apparente à une sorte de pile ou face, où il y a pas de perdant, excepté le cinéaste, enfin peut-être.
- Si Bela Tarr a toujours cette foi en les hommes et en la vie, ce qui est selon mon opinion la plus incertaine, alors, contrairement à Tarkovski ou Oshii, il ne pense pas qu'en créant du rêve un artiste peut faire prendre conscience au spectateur de la laideur du monde dans lequel il vit. Pour cela, il n'y a qu'une solution, lui montrer à travers la pellicule, la vision légèrement altérée de sa réalité, mais cette fois-ci doublement enlaidie et nauséabonde. Ainsi, si on suit cette logique, le témoin de cet effroyable spectacle ne pourra que, s'il lui reste encore quelque peu d'humanité, réagir pour que cela change, et dans le bon sens, cela va sans dire. Personnellement, je doute de l'efficience même de cette méthode, car parier sur le fait que le mal puisse engendrer le bien est hautement risqué et dangereux. C'est un peu comme s'il jouait avec le feu, essayant d'embraser le cœur des hommes, mais cela peut s'avérer plus déstructeur que régénérateur. Pour imager cette pensée, pour lui une flamme brille davantage dans la pénombre que sous un soleil éblouissant. Ce qui est vrai quand on a une vision réductrice des choses, ignorant l'unicité de tout ce qui nous entoure. C'est une initiative hautement prétentieuse, caractéristique d'un enfant puéril qui joue avec des choses qui le dépassent, malgré l'intention louable qui la motive.
- La deuxième, celle qui me semble la plus probable, demeure qu'à l'instar d'un Kubrick, celui-ci ne se fait guère d'illusions sur la direction que nous suivons invariablement. De cet état de fait nait donc un désespoir duquel même les faibles balbutiements et rayons de lumière qui parviennent à passer outre cette obscurité sont irrémédiablement étouffés pour à leurs tours chuter et sombrer dans l'oubli et la décadence. Il décide donc de filmer avec mélancolie ce monde qui le fait tant souffrir et dans lequel il n'a plus aucun espoir. Si tel est le cas, cela rend Bela Tarr bien plus coupable que tous les enculés qui peuplent nos sociétés mercantiles, dans le sens où tout en ayant pleinement conscience de son méfait il l'assume et s'en vante. C'est pourquoi j'ai usé du mot « prétentieux » à plusieurs reprises. Si je n'avais qu'un conseil à lui donner, ça serait de fermer sa putain de gueule pour laisser les vrais idéalistes et rêveurs poursuivre leurs combats, celui de la vie, en paix et sans le concours impromptu d'un connard aigri qui a perdu toute son innocence et son insouciance.
Ma note de 3/10 est une moyenne pondérée entre ces deux interprétations possibles.
Le film mérite donc 5 pour la première et 1 pour la seconde.