Sister Crack

Ecrit et réalisé par un Almodovar enivré par le souffle de la Movida, " Dans les ténèbres ", son 3ème long métrage est une œuvre qui sent le souffre.
Nous sommes en Espagne en 1983, la dictature franquiste est tombée il y a 6 ans et une partie de la jeunesse espagnole, jusqu’alors étouffée, hurle sa liberté et brise les conventions.

L’histoire est centrée sur Yolanda, chanteuse de Boléro dans un cabaret et junkie notoire. Elle se réfugie dans le couvent des " rédemptrices humiliées " suite à la mort de son compagnon tué par un shoot d’héroïne frelatée.
Ce couvent qui prône l’humiliation pour les " servantes du Seigneur " n’est pas un lieu très orthodoxe : il a pour invitées des marginales : criminelles, prostituées, droguées etc.
Parmi les nonnes, on trouve plusieurs brebis qui semblent égarées : Sœur Rat d’égout qui sous pseudonyme écrit des romans parsemés d’érotisme, Sœur Fumier une meurtrière adepte d’acide et de mortification, Sœur Perdue passionnée par les animaux qui possède un tigre qu’elle considère comme un fils et Sœur Vipère qui ne semble pas être insensible au charme du prêtre de la paroisse.

Et pour gérer ce joli capharnaüm, la Mère supérieure, héroïnomane en proie aux fruits défendus du cœur et de la chair. Son bureau est un véritable temple voué aux " Grandes Pécheresses " contemporaines qu’elle vénère autant que son dieu : Marylin Monroe, Ava Gardner, Raquel Welch, Jayne Mansfield, Brigitte Bardot, Amanda Lear.

Pas de manichéisme dans ce film, une scène résume bien l’étroitesse des liens entre Bien et Mal : lorsque la Mère supérieure accueille une ancienne pensionnaire et que l’ombre de sa silhouette prend de façon légère la forme d’un démon.

Il faut un peu connaitre l’Espagne, l’importance sociétale de l’Eglise Catholique et la fièvre espagnole pour la dévotion pour réaliser l’insolence de ce film. Il fut rejeté par le festival de Cannes 1983 pour son traitement blasphématoire de la religion et contribua à établir la réputation d’Almodovar " Enfant terrible " du cinéma espagnol.

Le réalisateur ibère ne possède pas encore une maîtrise totale de son talent mais on peut déjà reconnaître son style et ses thèmes de prédilections : les femmes, l’homosexualité, la musique, la critique des normes sociales, le tout baignant dans un univers burlesque et coloré.
Il fait appel à des actrices qui feront de belles carrières et apparaîtront de façon récurrente dans ses films, notamment Carmen Maura, Marisa Paredes et Cecilia Roth.

C’est un vrai plaisir honteux de païen de voir une religieuse sniffer de la cocaïne ou d’en entendre une autre en pleine transe déclarer que "Jésus lui est apparu et qu’il lui a offert ses blessures pour qu’elle les suce". Il semble bien qu’a force de côtoyer le Péché, on finit par y goûter avec allégresse.

Il ne faut pas voir dans ce film un brûlot contre la religion. Le message du film est un hymne à la tolérance et une critique de la religion catholique sous sa forme expiatoire et autoritaire. Une vie de sacerdoce n’est pas une vie, l’amour véritable c’est de reconnaître et de savoir apprécier les défauts de son prochain.
Et puis, après tout, la raison d’être de Jésus de Nazareth n’est elle pas de sauver les Pécheurs et non les Saints ?