Les Dardenne et Cannes, ça fait un. Un peu comme la moitié des cinéastes présentant un film en sélection officielle cette année, toute leur filmographie est passée par la Croisette - avec à chaque fois un prix à la clé. Faisant aussi partie des rares réalisateurs à avoir deux Palmes d'or à leur actif (en 1999 pour Rosetta et en 2005 pour L'Enfant), l'arrivée de leur nouveau volet, mettant en scène cette fois-ci Marion Cotillard, avait de quoi éveiller la curiosité. En plus de s'imposer dès le départ comme l'un des grands favoris de cette année, Deux jours, une nuit semblait proposer un pitch de départ des plus intéressants : la lutte d'une femme pour convaincre ses collègues de renoncer à leur prime afin empêcher son licenciement.
Les Dardenne font partie de cette vague d'un certain cinéma social qui jaillit depuis les années 1990 un peu partout en Europe. C'est souvent d'ailleurs ce qui fait l'intérêt premier de leurs œuvres : des sujets sociaux à hauteur d'homme, directs et simples, mais toujours traité au cœur des personnages à l'aide d'un réalisme saisissant. Cette règle s'applique d'autant plus à Deux jours, une nuit - dès les premières minutes, un constat : il n'y a aucun doute, nous sommes bien devant un film des Dardenne.
En tête d'affiche, Marion Cotillard. Actrice controversée qui se construisait depuis quelques années une carrière hollywoodienne, ici dans son plus faible appareil : pas de maquillage, pas de caméra qui tente de la mettre tout le temps en valeur. Dans ce film, Cotillard est une femme du commun, une ouvrière de la classe populaire - son interprétation est brillante, elle décroche ici le rôle de sa vie et vaut à elle toute seule qu'on s'attarde sur le film. Elle avance, souvent seule, dans sa quête inlassable, pleure souvent mais n'est jamais mièvre. C'est d'ailleurs l'une des autres grandes qualités du film : les Dardenne ont pour habitude de ne jamais s'éloigner de leur idée de départ. Pas d'intrigues secondaires, juste la trame principale, cette idée de scénario simple qui sert de point de départ et qui est utilisée à merveille tout le long, sans que des arcs narratifs secondaires viennent interférer son avancement. On ne s'égare pas, l'obsession du personnage de Cotillard finit par embarquer le spectateur - c'est beau, c'est fort, c'est souvent à pleurer. Les larmes ne sont jamais arrachées mais toujours amenées par le spectateur lui-même, l'émotion n'est pas forcée, elle est brute et forte. Portrait saillant des classes populaires, abordant, grâce à son sujet, de nombreux thèmes aux dimensions sociales, morales et psychologiques - Deux jours, une nuit est toujours d'une grande intelligence, parvenant à tenir sa promesse de livrer une conclusion, ni pessimiste ni optimiste, mais réaliste et réfléchie.
Il est d'ors et déjà presque certain que Deux jours, une nuit gagnera un prix cette année à Cannes. Tant ce nouveau Dardenne s'élève au-dessus de tout le reste de leur filmographie, par sa justesse, par son lot d'émotions, son intelligence et sa perfection technique et artistique. Une Palme d'or ? Peut-être, il est un peu présomptueux de faire de tels pronostics, mais il est indéniable que ce qui est sans aucun doute le chef d'oeuvre de ce début d'année 2014 se hissera dans les meilleurs films, si ce n'est le meilleur film, de la compétition. Une claque monumentale et un grand moment de cinéma.