Comment, après avoir vu ce film, peut-on encore douter que Marion Cotillard soit l'une de nos plus grandes actrices contemporaines ?
De blockbuster en superproduction, celle qui fut découverte grâce à sa piquante prestation de Lili dans Taxi, fait un crochet singulier en 2014 en s s'offrant aux belges Dardenne, abonnés au drames sociaux hyper-réalistes tendance pas trop happy end.
Elle y campe une mère de famille, Sandra qui, tout juste revenue d'un arrêt de travail (à priori pour dépression) à son poste dans une usine de panneaux solaires, se voit rapidement signifier sa mise à l'écart de l'équipe.
Ses collègues sont face à un choix cornélien : se voir attribuer une prime de 1000€ ou permettre à Sandra de garder son job. La décision peut paraître évidente de prime abord mais dans une région visiblement économiquement sinistrée, une telle somme n'est pas rien.
Sandra, aidée de son mari (si touchant Fabrizio Rongione), va donc consacrer son week-end (deux jours, une nuit) à faire du porte-à-porte dans le but de convaincre les salariés de lui accorder leur soutien (et renoncer à leur prime), lors du nouveau vote à venir.
Le spectre d'un certain Jean-Marc, contremaître tyrannique dont on ne découvrira le visage qu'à la fin (sous les traits du toujours impeccable Olivier Gourmet) plane sur l'histoire : il ferait pression sur les équipes afin qu'ils optent pour leur prime au détriment de Sandra. Les frères Dardenne pointent bien ici la machine à broyer l'humain que représente parfois l'entreprise, sa hiérarchie abusive, ses têtes de turc, ses décisions arbitraires, son manque de solidarité...
Armée de son seul courage, tenant le coup à grands coups de pilules de Xanax qu'elle s'enfile à longueur de journée, Sandra va de maison en maison frapper à toutes les portes pour tenter de rallier ses collègues à sa cause. Sans fard, habillée chichement, Cotillard se glisse formidablement dans la peau de cette jeune femme à la fois combative et désespérée qui ne peut que bouleverser le spectateur.
Ce cas de conscience moral est dramatiquement très intéressant : comment jeter la pierre à ces gens qui ont besoin de cet argent pour la plupart, sont pris en otage par leur direction, mais comment ne pas leur en vouloir de refuser leur soutien à cette mère de famille au regard désolé ?
Ce ressort du scénario permet de mettre au jour les rouages des personnalités, de révéler les comportements : si la plupart sont gênés par la situation, ils n'en expriment pas moins leur sympathie et parfois même s'excusent de leur "égoïsme" à préférer leur prime à leur collègue. Ils n'ont juste pas le choix et comptent sur ce versement.
Certains se montrent volontiers agressifs, condescendants ou méchants envers elle, quand d'autres vont être émus aux larmes par la terrible décision qu'on fait peser sur leurs épaules.
J'ai lu qu'il y avait un parallèle à faire entre ce film et Douze hommes en colère de Lumet : oui, dans le sens où le coeur de l'intrigue est bien de faire changer d'avis des personnes qui a priori ont déjà pris leur décision en conscience.
Avec sa photographie et sa mise en scène sans fioritures, désirant avant tout livrer un drame social dans toute sa vérité, Deux jours, une nuit est une réussite absolue qui tient avant tout à la prestation renversante de naturel et d'émotion de l'immense Marion.
Il y a aussi ces quelques instants de grâce entre collègues touchés, ses bras qui se serrent en remerciement, ceux sur qui on ne s'attendait pas à compter et qui finalement vous aident... au milieu du désastre, les Dardenne nous montrent qu'il y a toujours lieu d'espérer un peu de lumière et de chaleur humaines.
La dernière scène est particulièrement belle et nous offre une bouffée d'oxygène salutaire après cette heure et demie assez asphyxiante : Marion Cotillard sous le soleil, souriante en débardeur rose, qui remercie son homme pour son soutien sans faille et se dit heureuse de s'être si bien battue à ses côtés... Une aventure humaine déchirante, heureusement traversée ça et là d'étincelles d'espoir.