Brûlot politique, la légèreté de la comédie, l’angoisse et la paranoïa ambiante du thriller ? L’œuvre s’éprend de ces codes de genres traditionnels pour les transcender en son sein. Un récit absurde narré par des personnages absurdes, se confinant dans un cadre absurde. Le contexte de la guerre froide et la crise nucléaire évitée de justesse font germer dans l’homme l’attraction de deux forces contraires : elles théâtralisent à la fois son déclin et l’espoir d’une renaissance par une épuration tout bonnement ethnique. Les « cocos » ne se rattachent pas à une doctrine, mais à une race de créatures fourbes, faisant déferler sur le monde « l’Empire du Mal », pour reprendre l’expression du président Nixon.
En effet, les termes renvoyant au religieux comme la pureté, la monogamie, mêlant corps et esprit, sont une constante et une obsession, aussi bien chez le colonel Riper que la figure inquiétante du Docteur Folamour. Les communistes ont mis en péril les valeurs judéo-chrétiennes, entraînant le déclin de la civilisation. L’adoration du nouveau mâle alpha, le citoyen dominant œuvrant à la restauration d’un autre Homme, servent ainsi de jonction entre l’idéal d’un président démocratique et celui du scientifique nazi. Toute une réflexion philosophique s’illustre de manière scabreuse par les allusions sexuelles, le fétiche entretenu autour de la sacro-sainte virilité, sous l’hilarité et l’œil convulsif d’un Peter Sellers incroyablement convaincant.
L’archétype du savant fou est pourtant celui qui se détache de la simple figuration. Les autres protagonistes relèvent de la caricature. L’imposante salle de guerre est le théâtre des divertissements les plus divers, où l’on y dévoile ses gros muscles pour provoquer l’ennemi, où l’on se pavane devant un buffet aux milles saveurs. Les décalages savamment mis en scène par Kubrick ne font guère dans le compromis : infantilisation du corps dirigeant, usage d’une bande sonore ravivant les ardeurs patriotes ou exaltant, par la douceur d’une voie féminine, l’espérance d’un lendemain. Le survol des explosions nucléaires, l’esthétisme léché de la photographie enchantent les spectateurs que nous sommes. Le divin ne fait qu’un avec la destruction.