Loin de décrédibiliser le sujet de son film, Stanley Kubrick tourne au ridicule une situation tragique. Alors que cette période de tension voue les hommes à causer leur propre perte, le cinéaste joue de ce fatalisme en affichant son raisonnement absurde. Des soupçons de la fluoration de l’eau par les communistes à l’équilibre de la terreur, la majorité des faits ont pour source le comportement de ses contemporains. Évidemment le film ajoute de quoi accréditer son registre avec sa célèbre War Room, un lieu stratégique gouvernemental où les décisions se prennent autour d’une table de poker, et des personnages invraisemblables, excentriques voire grotesques. La folie de Ripper n’est pas un cas isolé, ce qui démunie la situation de tout entendement. L’hystérique Général Buck Turgidson propose de poursuivre les attaques tant qu’il en est encore temps, tandis que la conversation au téléphone rouge partant d’une bonne intention ne fait qu’aggraver les événements. L’apparition de l’ancien officier nazi, le Docteur Folamour, incarne quant à lui une psychose qui dépasse le cadre de la fiction. Il est un reflet vers la réalisation insensée de décisions politiques passées mais qui peuvent s’accomplir sous de nouveaux traits avec de plus larges conséquences : L’Histoire n’a donc rien appris aux hommes. Le fait que cet homme à l’éthique manifeste soit le conseiller du président américain est éloquent. Cette relation symbolique atteint sa clairvoyance avec le dernier appel que Folamour adresse au chef du gouvernement sous le nom de « Mein Führer ».

Face à la situation et l’attitude des protagonistes, les propositions rationnelles restent vaines. Il y a constamment un obstacle aux solutions et les seules qui restent plausibles ont des conséquences inconsidérées. Cette succession de causes et de conséquences est prise dans un récit où le temps est compté depuis l’envoi de l’attaque, et où se succède une alternance entre le quartier général sous le contrôle de Ripper, l’équipage d’un bombardier et la War Room. Cet usage académique des règles du suspense est un élément fondamental du ton que prend le film considéré son détournement. L’alternance des lieux dilate à l’excès un temps bien trop court, il ne faudrait qu’une vingtaine de minutes pour que les cibles russes soient atteintes, or l’attaque est un des éléments conclusifs. En ce sens, le cynisme du film touche tout autant son sujet que les conventions de son moyen d’expression. Cette affirmation est dotant plus soutenable par le contrepoint musicale qu’inaugure et conclue remarquablement cette dérision funèbre.
Loglady
9
Écrit par

Créée

le 4 janv. 2014

Critique lue 339 fois

1 j'aime

Log Lady

Écrit par

Critique lue 339 fois

1

D'autres avis sur Docteur Folamour

Docteur Folamour
Strangelove
10

Le cous(s)in Pete(u)r.

Docteur Folamour (prononcez Strangelove en VO) est mon Kubrick favori. Pas celui devant lequel j'ai ressenti le plus d'émotions ou même d'admiration plastique, mais certainement celui qui m'a le plus...

le 5 déc. 2013

122 j'aime

25

Docteur Folamour
Rawi
9

Apocalypse burlesque

La filmographie de Stanley Kubrick a ceci de particulier c'est que sans être très longue, elle est l'une des plus variées du cinéma américain. En quelques films seulement le bonhomme a su aborder...

Par

le 31 mars 2016

65 j'aime

3

Docteur Folamour
Ugly
8

Le péril atomique tourné en dérision

L'idée de ce film est venue à Kubrick après qu'il ait entendu le président Kennedy dire que la guerre atomique, que l'on déclenche uniquement en pressant sur un bouton, a mille fois plus de chance...

Par

le 4 févr. 2019

48 j'aime

12

Du même critique

L'Enclos
Loglady
7

Prévoir c'est empêcher

Du haut d’une colline, des prisonniers d’un camp de concentration ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, de simples corps uniformes se succédant à la suite de pénibles efforts. Alors que deux d’entre...

le 13 déc. 2014

2 j'aime

Le Bourreau
Loglady
7

Fatalité sociale

Difficile de jouir d'une bonne image lorsque l'on est publiquement celui qui œuvre à la mise à mort d'autrui. Même si l'exécution est une décision de justice, le bourreau est contraint d'être mis à...

le 13 juil. 2014

2 j'aime

Phantom of the Paradise
Loglady
7

Un réquisitoire baroque

Comme une annonce de son destin, la première œuvre interprétée par Winslow est une cantate sur le mythe de Faust. Cette référence est centrale dans la tournure prise par la relation entre le...

le 5 févr. 2014

2 j'aime

2