Je saurais entendre que face à un tel nom, les attentes aient pu être multiples, complexes, contradictoires, voire même carrément impossibles à assouvir.
Car depuis 1965 et la publication du roman Dune, c’est peu dire si l’univers de son auteur Frank Herbert a su alimenter les mythes comme les frustrations, au point de s’ériger comme une icône d’œuvre inadaptable.
De l’abandon des projets d’Alejandro Jodorowsky et celui de Ridley Scott en passant par le fiasco sorti sur les grands écrans en 1984 que même son réalisateur renia, l’idée d’une adaptation réussie de Dune au cinéma avait fini par s'ériger en fantasme inatteignable, ce que le remarquable documentaire Jodorowsky’s Dune a d’ailleurs récemment contribué à entretenir…
Dès lors, rien d’étonnant à ce que – à peine annoncé – ce projet de reprise par Denis Villeneuve fasse déjà grincer des dents.
Peur et joie s’entremêlaient chez certains avec une certaine évidence. Désir et effroi…
…Que de choses face auxquelles, je me dois bien de vous l’avouer, je me retrouvais bien étranger.
Parce que oui – et il me semble utile de le préciser tout de suite afin que le regard que je porte sur ce film soit bien compris – j’ai toujours entretenu à l’égard de Dune un rapport totalement dépassionné.
Je n’ai jamais lu le roman et les seuls contacts que j’ai pu avoir avec l’univers de Dune furent pour moi le jeu de Cryo Interactive sorti en 1992 ainsi que le film de David Lynch.
C’est donc peu dire si Dune n’a jamais entretenu chez moi une quelconque forme de fantasme ou d’attente.
Malgré tout, ça ne voulait pas dire que j’appréhendais ce film sans rien y projeter.
Au contraire, face à lui je nourrissais ma propre exigence.
Et celle-ci n’était pas tournée vers un univers mais plutôt vers un homme.
Moi, celui en qui je portais d’étranges espoirs, c’était Denis Villeneuve.
« Étranges » parce que jusqu’à présent je n’ai jamais vraiment été emballé par aucun des films de cet auteur.
Mais « espoir » malgré tout parce que je sentais que le bonhomme avait le potentiel pour réaliser ce qui me manque depuis beaucoup trop longtemps.
Ce genre de film là…
Dune.
Voir Dune c’est avant toute chose voir un film élégant.
Un film de textures. Un film de lignes pures. Un film de sons et d’échos.
Et qu'on puisse dire ça d'un blockbuster américain sortant en 2021, je trouve ça d'autant plus agréable que c'est fort rare.
Le contraste avec tout ce qui a pu se faire ces derniers temps est d’ailleurs à ce titre assez saisissant.
Aux bouillasses numériques des frères Russo, Villeneuve y répond avec de la pierre brute, de la lumière franche et des corps dépeints de mille façons.
Dans la droite lignée de son Blade Runner 2049, le Québécois remobilise tout son art de la texture et de la rupture.
Ici un corps épousé par le tissu et le vent.
Là un visage matifié et plissé par le soleil du désert.
Et puis enfin ces masses de chair qu’on noie dans la vapeur d’eau ou les fluides épais.
Là où les frangins de la ligue du Yes ne savent qu’enchainer les chorégraphies de CGI orchestrées sur des parkings vides, Villeneuve s’attarde sur des bains, des repas, des marches…
Le luxe découle chez lui du raffinement de la lumière et des textures là où d’autres ont besoin de débauches numériques et de hochets pétaradants.
D’ailleurs, à côté de cela, ce Dune répond aussi à merveille à la précipitation qu’un J.J. Abrams a désormais posé comme norme dans les Star Wars.
Face à la culture du roller coaster, Villeneuve réimpose le temps long, car c’est le seul temps qui sait rendre les moments imposants.
Une seule scène de ce film parvient d’ailleurs à rappeler quelques évidences.
C’est une scène située au tout début. La scène durant laquelle le héraut impérial vient convier les Atréides à prendre en charge la planète Arrakis.
Alors que chez Abrams la chose aurait été pliée en deux coups de cuillères à pot entre deux scènes d’action, le tout dilué dans un petit jeu de petites chamailleries censées rappeler à quel point les héros ne sont que des humains comme les autres avec leurs failles et leurs doutes, Villeneuve lui préfère souligner la solennité de l’instant.
Des plans longs et larges pour illustrer la rigidité et la rectitude du cérémonial.
Une marche longue pour qu'on prenne le temps de s’attarder sur les costumes et ornementations de chacun.
Et surtout un silence sacral au moment d’appeler le Duc à ses nouvelles fonctions.
Parlons-en d’ailleurs de ces silences ; dernière grande force de cette élégante mise-en-scène.
Des silences qu’on pourrait d’ailleurs coupler aux multiples plans fixes qui composent ce film.
Là où un Christopher Nolan aurait tartiné ce film de dialogues et de musiques dans tous les sens, Villeneuve lui sait s'effacer.
Il s’efface quand il oblige le verbe à aller à l’essentiel (quitte à être parfois froid et plat), lorsqu’il ménage les silences entre chaque échange, ou bien tout simplement quand survient le moment de montrer la grandeur ou la magnificence d’un vaisseau ou d’un ver des sables…
Et dire cela, ce n'est pas dire pour autant que la musique est absente, loin de là. C'est juste dire qu'au moment de savoir se mettre en retrait, elle sait le faire. Et l'air de rien c'est quelque-chose qui commence à se faite trop rare dans les grands blockbusters actuels pour ne pas être signalé.
Or, rien que ça – déjà – moi ça suffit à mon plaisir…
…Et si cette seule élégance de forme peut suffire à mon bonheur c'est aussi parce qu’au fond, celle-ci colle parfaitement à l’univers présenté.
Comme un étrange clin d’œil fait à son temps, Dune nous renvoie à une autre époque.
Et plus qu’à un futur lointain, c’est surtout vers une vision passée du futur que Dune nous ramène.
Faste des péplums et de leurs grands décors.
Dureté du corps à corps et des combats à l’arme blanche.
Mécaniques bien rustres et bien physiques des années 90, avec hélicos et stations d’extraction qui s’inspirent d’ailleurs directement du jeu de Cryo de 1992.
On pourrait même pousser le vice jusqu’à voir en ces étranges boucliers de protection un clin d’œil à l’esprit de Star Wars et de ses sabres-laser.
Mais au fond, rien de nouveau à cela chez Villeneuve.
Car à bien tout prendre, Blade Runner 2049 avait déjà su rappeler le blockbuster à son excellence puisque toutes les qualités sus-citées y étaient déjà présentes.
Sauf qu’il y a dans Dune ce qui manquait selon moi à Blade Runner 2049.
Là où la suite qui emboitait le pas du chef d’œuvre de Ridley Scott avait peiné à trouver une direction et une singularité, Dune a su pour moi accomplir ce qui a toujours manqué dans les films de Villeneuve : de l’amalgame.
Jusqu’à présent j’ai toujours trouvé qu’il y avait dans chacun des films de Villeneuve de très fortes disparités qualitatives entre le fond et la forme ; résultat selon moi d’un auteur qui a toujours su poser des univers et des ambiances mais sans jamais savoir quoi en dire ni quoi en faire.
Ainsi, de Prisoners à Premier contact en passant par Sicario, Blade Runner 2049 ou Enemy, j’ai toujours eu du mal avec cette sorte de grossièreté – pour ne pas dire cette maladresse – avec laquelle Villeneuve enchainait régulièrement les poncifs des différents genres qu’il a pu adopter, et cela sans jamais n’avoir vraiment réussi à les faire cohabiter de manière logique et cohérente.
Or, là, dans Dune pour une fois ça colle plutôt bien.
Et on ne va pas se mentir, je pense que si tout colle aussi bien c’est aussi parce que ce film n’a pas de fin.
Ne se posant que comme la première partie d’un tout appelant à être complété ultérieurement, Dune peut s’autoriser ce luxe d’installer sans faire aboutir.
Ainsi Villeneuve peut-il exceller dans ce qu’il fait le mieux : installer.
Une installation qui n’en reste pas moins riche en péripéties et ambitieuse en termes d’élancement…
Comme s’il était libéré de la pression immédiate de conclure, l’ami Villeneuve n’en semble que davantage libéré…
…A moins que ce ne soit nous qui sommes libérés pour le moment d’une potentielle désillusion à venir.
…Il n’empêche qu’en attendant, cet épisode joue pleinement son rôle de mise en bouche. Et c'est l'essentiel.
Malgré tout, dire cela ça ne signifie pas pour autant que Dune est pleinement émancipé des lacunes qui planent sur tous les films de Villeneuve, voire de tous les blockbusters en général.
Au premier rang des « peut mieux faire » on retrouvera notamment les scènes de bataille.
Quand bien même surpassent-elles plastiquement celles présentes dans des Avengers et autres films du genre, il n’empêche qu’à y regarder de plus près, on peut y retrouver quelques tristes similitudes.
Entre les pirouettes absurdes, les figurants qui se battent dans le vent, et les quelques plans confus posés là pour mieux cacher la misère, Dune perd de sa superbe sitôt s’agite-t-il un peu.
Difficile aussi de ne pas tiquer sur une grosse chute de rythme lors du dernier quart.
Il faut dire que l’agencement de l’intrigue a de quoi surprendre au regard de la durée totale du métrage.
Après une montée progressive en tension, tout explose lors d’un climax qui survient au bout de deux heures de film ; climax qu’il est difficile de ne pas ressentir comme l’aboutissement de cette première partie…
…Sauf que non. Derrière ça une dernière demi-heure nous attend encore.
Et si au fond celle-ci n'est pas totalement inintéressante, la mise-en-scène n’est cependant pas parvenue à poser ce dernier segment comme un prolongement naturel du climax ayant eu lieu précédemment.
En ressort une conclusion poussive et qui peine à séduire tant elle peut être perçue comme une sorte de tronçon intermédiaire entre la partie 1 et la partie 2.
Une triste manière de faire retomber le soufflé…
Et d’ailleurs, si le soufflé retombe, c’est aussi en raison d’un troisième et dernier problème : une certaine superficialité (pour ne pas dire asceptisation) du traitement des personnages.
Or si la longue exposition des trois Atréides permet de générer auprès des spectateurs un minimum d’intrigue les concernant, il n’en va malheureusement pas de même de tous les autres personnages qui se réduisent souvent qu’à de simples clichés de space-opéra.
Et à ce petit jeu d’ailleurs, les quelques notes de « minorités visibles » détonnent tant la logique qui les conditionne saute aux yeux.
Alors qu’il aurait juste suffi d’opérer un vrai brassage de couleurs et de cultures pour qu’on ne se questionne sur rien, là le film se contente simplement de nous bombarder ici un médecin chinois et là une cheffe rebelle noire ; deux singularités qui peuvent rappeler qu'avant de regarder une saga de fantasy spatiale, on regarde un film devant se plier aux contingences nord-américaines de son temps.
Difficile également de ne pas reprocher au film de ne pas avoir su davantage accentuer cette opposition entre la froideur et la rectitude du monde politique et nobiliaire des Atréides à celui plus chaud, tourmenté et confusionnant du monde de la Dune.
Les peuples du désert sont trop ternes et trop sages. Les hallucinations trop nettes et trop chastes. Quand au sable et aux vents ils ne martyrisent pas suffisamment les visages et les yeux.
Peut-être dans sa partie 2 Villeneuve passera-t-il la vitesse supérieure sur ce point mais j'en doute.
Malgré tout, me concernant, je préfère profiter de cette partition de l'intrigue en deux pour prendre ce que j'ai à prendre, projeter ce qu'il m'est encore permis de projeter, et profiter de ce film a à me donner.
Car à bien tout prendre, me concernant, ces quelques réserves n'ont au final pas tant terni que cela le bilan que je me fais de ce Dune.
Et ce bilan c’est que, bon-an-mal-an, Denis Villeneuve est en train de (ré)imposer au sein des productions de blockbuster étatsunienne ce que j’aurais tendance à considérer comme étant du vrai cinéma.
Pas seulement de l’agitation et des CGI en pagaille pour satisfaire les esprits distraits, mais plutôt un cinéma riche qui entend tirer profit de plus d’un siècle de façonnement du langage cinématographique par le cadre, le montage, la photo, les silences.
D’une certaine manière Dune restaure une sorte de noblesse du cinéma, à une époque où avait fini par devenir hégémonique une véritable culture de parvenus.
En cela Dune tient pour moi ses promesses.
Peut-être pas la promesse d’une adaptation à la hauteur de l’œuvre de Frank Herbert – car de cela je ne saurais au fond discuter – mais au minimum la promesse d’un vrai cinéma.
Un cinéma de la vieille pierre. Un cinéma du combat et de la cérémonie à l’ancienne.
Et même si je ne suis pas du genre à prôner le maintien des têtes couronnées dans le monde, j’avoue malgré tout apprécier quand un bon artisan rappelle à la beauté des arts anciens…
…Ceux qui résistent aux vents et aux temps.
…Ceux qui s’imposent par leur majesté, tout simplement.