C'est un film que j'ai vu en salle à sa sortie. J'avais 20 ans. Le coup de poing comme j'en ai rarement reçu au cinéma. Je m'en souviens encore. Je suis sorti de la salle, outré, absolument scandalisé, révolté. Le pire est que je pouvais mettre des noms sur certains personnages rendant ce film encore plus crédible à mes yeux.
J'ai mouliné ce film pendant des jours et des jours : "c'est pas possible que ces salauds s'en tirent comme ça" étant le niveau moyen de mes réflexions …
Spoiler : Même la mort du personnage interprété par Carmet ne parvenait pas à me calmer …
Presque 50 ans plus tard, comme dirait l'autre, j'en ai vu d'autres et j'aborde ce film avec une plus grande sérénité et même me surprend à rire devant des scènes de grande beaufitude. Avant le départ (le bruit craquant des biftons pour graisser la patte du flic), sur la plage "je ne lis que la grande littérature", aux jeux de plage (avec l'inénarrable JP Marielle) ou au camping (le bon goût des soutien-gorge offerts par Pierre Tornade). Et encore, je dois en oublier plein … Et je ne peux quand même pas remplir cette critique de tous ces détails savoureux et croustillants.
Parce que question beaufitude, le petit père Boisset charge la mule comme il faut. Il y a des films où je trouve, pour ma part, que l'excès nuit (récemment, dans "Adieu les Cons", par exemple). Eh bien, ici, comprenne qui pourra, l'excès ne nuit pas … Peut-être que parce que je crois vraiment aux personnages. Peut-être aussi que l'ignominie décrite dans ce film nécessite, pour me rassurer, des personnages bien ignominieux.
Une chose est sûre. Il y a le film "Les bronzés" dont je disais dans ma critique, que j'avais acheté le DVD comme une mesure de thérapie préventive au cas il me viendrait l'idée saugrenue de vouloir aller en "club méd". Ici, c'est un peu la même chose, le film m'a guéri à jamais d'aller passer mes vacances dans un camping ou de trainer mes guêtres (ou plutôt mes tongs …) sur une plage bondée (Ah, tant pis pour le beau mec qui gonfle ses pectoraux bien bronzés devant toutes ces dames).
Le casting de "Dupont-Lajoie" est fulgurant. Je n'ai pas d'autres mots. Certains acteurs sont, dans ma tête, indissociables du film.
Jean Carmet, bien sûr, comme toujours à contre-emploi non de ce qu'il joue habituellement mais de sa nature profonde. L'homme à la conscience tranquille. Le taiseux. Le vice ordinaire.
Ginette Garcin qui joue le rôle de son épouse dont je revois toujours son attitude sur l'autoroute en passant devant l'accident routier mortel. "Leon, passe moi vite l'appareil photo"
Jacques Chailleux – dont je ne me souviens jamais du nom parce qu'on ne le voit pas souvent au cinéma – joue le rôle du fils. Et pourtant. C'était ma bouée, ma lueur d'espoir, dans ce film car je m'y assimilais à fond et compatissais à sa honte …
Jean Bouise dont j'admirais le personnage et surtout sa dernière cinglante réplique (malheureusement gratuite) à Michel Peyrelon.
Michel Peyrelon, l'ordure en bas de soie (pour paraphraser Napoléon à Talleyrand) : jamais vu dans un rôle positif.
Victor Lanoux en petite frappe d'ancien combattant en Algérie. Lui, je l'ai revu souvent dans des rôles bien plus positifs mais ai eu longtemps du mal à me sortir de son image dans "Dupont-Lajoie".
Bon, je ne vais pas m'étaler plus. Ce film est certainement un des meilleurs de Boisset. Il a eu le mérite en 1975 d'oser montrer une France qu'on préfère ignorer avec son racisme et sa xénophobie ordinaires. Avec des personnages ordinaires pas si caricaturaux que ça.
Boisset tape fort et pousse loin l'analyse mais l'un dans l'autre, ou plutôt, un évènement en entrainant un autre, est-ce, finalement, si invraisemblable ?