Il était une fois Ennio Morricone !

Pour commencer cette critique, j'avoue que j'ai beaucoup de mal à refréner une envie pressante de taper comme un fou furieux une suite de termes qui paraîtront hyperboliques, mais qui ne sont que justesse. Vous voyez, du genre "génie", "géant", "divin", "magnifique", "éblouissant", etc.


Ennio Morricone n'est pas juste le plus grand compositeur de musique de films de tous les temps (et croyez-moi, dans un domaine dans lequel on croise des John Barry, des John Williams, des Georges Delerue, des Maurice Jarre, des Bernard Herrmann, des Vladimir Cosma, des Vangelis, des Hans Zimmer et bien bien d'autres, ce n'est pas un mince compliment !), c'est un des plus grands musiciens de tous les temps. Ce n'est pas juste un des plus grands musiciens de tous les temps, c'est un des plus grands artistes de tous les temps.


Je lui dois une partie loin d'être négligeable des plus gros orgasmes cinéphiles (allez même artistiques !) que j'ai connus, entendus, vus, ressentis dans toute ma vie. Dès que les premières notes de The Ecstasy of Gold sont arrivées à mes oreilles, j'étais dans un état second.


Bon, bref, Giuseppe Tornatore (avec qui le maestro a travaillé à plusieurs reprises, notamment sur Cinéma Paradiso !) a réalisé ce documentaire de deux heures et demie sur l'immense Monsieur. Parmi une multitude d'intervenants pour le moins très prestigieux, on a le compositeur qui évoque (parfois avec une pointe d'humour, souvent avec une émotion contagieuse !) lui-même sa propre existence et sa propre oeuvre.


J'avoue que je connaissais peu sa vie pré-Leone. Son père qui l'a empêché d'être médecin pour qu'il devienne trompettiste comme lui (je déteste les parents qui imposent leurs volontés en ce qui concerne la vie professionnelle de leur progéniture ; là, me torchant avec un de mes principes, j'ai envie de crier "grazie mille" au paternel !), ses vaches maigres en tant que trompettiste, ses études au conservatoire (avec une vision académique archaïque de la musique dans laquelle celle de films était mal considérée ; vision qui a fait que pendant de nombreuses années, Morricone avait l'impression de trahir son art alors qu'il le servait avec brio !), son passage éclair à la Rai, ses participations parcellaires non créditées à des musiques de films, ses compositions pour la musique de chansons d'interprètes en vogue à l'époque en Italie avant que la gloire n'arrive, avant que la musique de films n'aille le chercher avec naturel et réussisse à le garder avec autant de naturel. C'était sa destinée.


En grande partie par le biais du principal intéressé (qui de mieux pour le faire !), l'intelligence de ce documentaire, c'est qu'il prend le temps de parler de musique, de la musique de Morricone (oui, ça paraît évident dit comme cela, mais un mauvais cinéaste se serait contenté de juste filmer une page Wikipédia, sans faire l'effort d'analyser !), de parler du rapport que l'artiste a avec son art, de ceux qu'il considère comme ses maîtres, de sa sensibilité ayant pour conséquence que le fait le plus banal du quotidien peut même être une source d'inspiration (un ouvrier qui fait du bruit avec son échelle sur la scène, paf, en introduction d'Il était une fois dans l'Ouest juste la symphonie d'une gare au milieu de nulle part ; une manifestation de jeunes dans la rue dans laquelle il habite, paf, musique de Pereira prétend !).


Cinq cents titres sur une carrière s'étendant sur six décennies (avec une bluffante réinvention constante !). Il écrivait un morceau comme un être normal aurait rédigé une lettre. Il y a l'exception de Mission qui a pris deux mois de sa vie. Est-ce que ces deux mois valaient le coup ? Une existence entière aurait valu le coup quand on a un résultat qui semble être une oeuvre des dieux.


Par l'angle d'attaque de la musique, le tout suit la très grande majorité du temps la chronologie. L'importance essentielle qu'a eu l'épouse sur la carrière de son mari ne manque pas d'être mise en avant. La confiance qu'accordaient la plupart des réalisateurs avec qui IL a travaillés aussi (quelle liste impressionnante, non seulement pour le nombre même de cinéastes avec lesquels il a collaboré, mais aussi pour la diversité de leur profil !). Dans cette optique, il y a notamment une très belle anecdote de relatée, que je vous laisse découvrir par vous-même, autour de la BO d'Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, une de mes préférées, lors de laquelle Elio Petri a eu l'intelligence de reconnaître que c'était son musicien qui avait raison. Autrement, bien sûr que Sergio Leone est longuement évoqué.


Pour enfin conclure, parfois devant l'extraordinaire, il veut mieux fermer sa gueule, ne pas trop se poser de questions, se laisser porter, ouvrir complètement les vannes de son admiration. Je crois que je vais aller chialer un bon coup en écoutant "Jill's Theme" d'Il était une fois dans l'Ouest. Mais ça marche aussi avec "Deborah's Theme"d'Il était une fois en Amérique, avec "Sean, Sean" d'Il était une fois la révolution, Mission et une quantité astronomique, inouïe d'autres. Oh, bordel, qu'est que je le kiffe, mais qu'est-ce que je le kiffe. Dans le monde des humains, il y a énormément de laid, d'insupportable, d'insoutenable, mais il y a aussi un peu de beauté rendant notre passage terrestre moins pénible. Merci, mais vraiment merci pour tout, Maestro.

Plume231
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le 7 juil. 2022

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Plume231

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