Ne serait-ce que d’un point de vue chronologique, je me dois de porter une attention toute particulière à eXistenZ, œuvre dont l’existence découle de la transcendance.
Le 15e long-métrage de Cronenberg constitue à la fois une synthèse de sa filmographie, l’aboutissement de ses nineties et un tremplin vers le XXIème siècle.
Quoiqu’il arrive à ce stade, le cinéaste canadien aura marqué de son empreinte trois décennies de cinéma, en instiguant l’horreur corporelle mêlant esprits torturés et corps mutilés.
Les œuvres cronenbergiennes des années 90 - à mon sens - sont inférieures (de loin) à ses films des eighties. Dans les années 1990, Cronenberg réalise de nouvelles expérimentations propres à sa sensibilité artistique à partir d'autres œuvres. Ses années 80 brillent davantage par leur éclectisme, leur audace et surtout par leur inspiration. En somme, ses films des eighties sont très inspirés, ceux des nineties sont trop inspirés.
On peut voir eXistenZ comme un fils spirituel de Videodrome, le bijou de Cronenberg. C’est à l’image du tandem père-fils Fonda, le fils Peter - bien que ressemblant au père Henry - ne l’égalera jamais. Videodrome est un chef-d’œuvre intemporel, eXistenZ lui a le mérite d’exister.
Trève de comparaisons, analysons l’œuvre en tant que telle.
Les deux scènes les plus intéressantes du film sont la première et la dernière, tout simplement. La première l’est dans la manière dont Cronenberg habille ses plans, les cadrages sont soignés et ont un véritable sens : la mise en scène est donc au service de l’histoire et de la caractérisation des personnages. Dans son premier long, Stereo, la façon dont il imaginait ses cadres m’avait impressionnée (j’avais dit que j’arrêtais les comparaisons).
Dans eXistenZ, pas besoin de mots pour montrer que Allegra Geller a l’ascendant sur Ted Pikul, et sur la foule. La créatrice est dominatrice. Elle est la « mère du jeu », en cela, plusieurs parallèles sont à relever, entre la création et la procréation. Pour commencer, on peut évoquer les allusions explicitement sexuelles (mouiller son doigt pour ensuite le pénétrer dans le bioport, y mettre sa langue : des bioportlingus ?), le cordon ombilical qui relie tous les utilisateurs à une seule et même personne, la mère. Contrairement à son œuvre précédente où le sexe était explicite, ici il est implicite et pour cause on ne voit à aucun moment - et c’est extrêmement rare pour le signaler - la montagne charnelle aux deux sommets d’une femme.
Ses activités et son prénom semblent apporter de la joie aux utilisateurs de son jeu, son nom est en plus de cela très amical, très friendly.
Sans être foncièrement manichéen, Cronenberg exprime la dualité de ses personnages comme personne. Allegra Geller demeure timide mais pourtant crée un jeu (mettant en scène une réalité alternative) qui libère nos pulsions. Quelque part, la timidité, c’est l’intériorisation à l’extrême des pulsions, au point d’être prisonnier de cet état.
À côté de ça, Ted Pikul devient son garde du corps alors qu’il n’a ni armes ni courage. Allegra réalise à quel point elle est dans de beaux draps quand elle apprend de Ted qu’il n’est qu’un commercial qui plus est dépourvu de Bioport. Encore une fois, Cronenberg nous met en scène son héros-type, celui qui ne fait que subir.
Les twists finaux ne font que renforcer la dualité des personnages.
Cronenberg est-il visionnaire ? Avant-gardiste ? Je ne pense que l’on puisse affirmer à 100% si oui ou non, un auteur est visionnaire ou avant-gardiste.
A-t-il prévu la dangerosité des écrans avec Videodrome ? A-t-il inventé la réalité virtuelle et le microchip avec eXistenZ ? Les fins ambiguës de ces deux films ne donnent pas de réponses définitives et la subjectivité dont chaque critique fait preuve ne permet pas de trouver une réponse arrêtée et objective à ce questionnement fondamental.
Néanmoins, quoiqu’en disent ses détracteurs, Cronenberg est l’un des cinéastes les plus inspirés de sa génération.
Dans eXistenZ, Cronenberg soulève la question du libre-arbitre : « le libre-arbitre n’est pas déterminant dans ce petit monde », teinte son histoire de traits d’humour (quand il tue le serveur d’un restaurant devant tout le monde puis justifie son acte en disant que simplement il y avait eu un problème avec l’addition) et surtout nous perd dans l’univers du jeu, à la frontière avec la réalité morne et objective.
La scène finale semble être une mise en abyme de la relation entre le cinéaste et son spectateur. Cronenberg nous révèle la vérité, tout en laissant planer le doute sur l’authenticité de cette vérité.
D’ailleurs, la dernière phrase du film suivant la révélation finale nous questionne sur nos perceptions de la réalité :
Tell me the truth. Are we still in the game ?
La dernière œuvre du XXème siècle de Cronenberg existe mais ne transcende pas.
(6,5/10)