Quoi de mieux pour une Cinéxpérience que d'avoir une oeuvre qui nous cause très précisément d'expérience ? Très sincèrement, en découvrant ce à quoi j'allais passer les prochaines quatre-vingt-dix minutes, j'étais plutôt emballé. Les expériences de psychologie sociale ça me parle, on les a étudié en science politique, à la fac... Bref j'étais rodé et parfaitement au fait de l'histoire, je n'avais plus qu'à me laisser porter par celle-ci en espérant constater que le présent film ne se limiterait pas à un travail de surface plutôt stérile. Pour vous décrire comment l'ambiance "expérience" avait gagné la salle, la truculente équipe de la cinéxpérience a voulu nous faire passer un petit test social avant de débuter la projection, aussi avons nous reproduit l'une des expériences de Asch, celle avec les bâtons de différentes tailles (C'est par ici que ça se passe. Le résultat fut peu concluant mais l'intention y était, le contexte activé, les moteurs bouillants, le point de patinage trouvé et on démarra !
La première partie du film ressemblera trait pour trait à l'idée que vous pourrez vous en faire avant de le visionner, à savoir une représentation fort bien exécutée de la fameuse expérience de Milgram. Pour la suite nous allons supposer que tout le monde a une petite idée de en quoi elle consiste aux vues des controverses à son sujet, controverses encore d'actualité, pour ceux qui auraient vus "Le jeu de la mort" sur FR2, l'argument est sans appel. Pour les autres, ou si vous souhaitez réviser un peu avant un examen qui n'arrivera jamais, voici de quoi vous documenter.
L'expérience nous est donc montrée dans son plus petit détail, dans quelques unes de ces versions, bref, la chose s'avère classique mais pas totalement inintéressante tant on nous place dans une position de savoir, de supériorité presque, face à des sujets on ne peut plus soumis. Cette impression quasi arrogante que détient le spectateur est d'autant plus présente du fait d'un quatrième mur sans cesse repoussé. Stanley Milgram (Peter Sarsgaard) s'adresse, en effet, très régulièrement à nous, qui sommes dans la confidence de l'expérience, racontant sa vie, son parcours, nous déballant de l'utile comme de l'inutile, le tout dans un cadre frôlant le surréalisme. Et si je dis surréalisme je parle du cadre choisi mais aussi des fonds et des décors. Ces derniers apparaissent le plus souvent sous la forme d'images projetés sur toile, mimant certaines ambiances pour, à la fois, donner un grain sixties au film mais également pour dépeindre un aspect assez théâtrale des interludes que nous propose Milgram. En soi, cette utilisation de faux décors pourrait être intéressante si l'on regardait une pièce de théâtre, or nous regardons un film qui, il est vrai, est déjà constitué d'illusions.
L'Expérience prenant environ un peu moins de la moitié de l'histoire, le reste, comme vous vous en doutez se concentrera sur les retombées et toute l'ambivalence de ce test qui va dépeindre une société faite de gens malléables. Le contexte historique, notamment le procès d'Eichmann, est essentiel pour bien appréhender le film tant on se demande encore comment des humains ont-t-ils pu commettre de tels horreurs envers d'autres. Milgram étant juif, le parallèle est d'autant plus justifié. Milgram veut comprendre pourquoi et surtout comment, faisant de lui un personnage, certes rejeté par une masse préférant se voiler la face, mais néanmoins fascinant. Experimenter ne nous le rend pas fascinant, qu'on se le dise. Milgram y est plat, distant de la réalité dans laquelle il évolue et souvent hautain. Partant du principe que l'on regarde un biopic on est mal parti...
Réussir à rendre pertinent un biopic est une tâche ardue. Lorsque les scénaristes commencent à disséquer le vrai pour en produire son jumeau difforme il y a de nombreuses erreurs, qu'hélas, ce film commet en toute beauté... Pour vous faire court, Experimenter n'est intéressant et n'a de sens que si vous ne connaissez pas les travaux et expériences de Milgram ou de psychologie sociale. Tout simplement. Durant le film, on en assiste à des tas, d'expériences, seulement ces dernières ne pourront susciter que l'intérêt de la surprise, éventuellement de l'amusement et/ou la réflexion que l'on peut en retirer. On est constamment dans l'illusion, chose extrêmement casse gueule et qui ne peut véritablement satisfaire... En toute connaissance de cause, on attend simplement de passer à la prochaine scène jusqu'à ce que, inexorablement, l'histoire s'achève. Et même si l'on a jamais entendu parler des divers travaux de Milgram, on a beau savourer les délices de l'illusion, il ne fera aucun doute que l'on sera vite rattrapé par un fond plus qu'aseptisé, incarné par une Winona Ryder très dispensable scénarisitiquement parlant.
Expérimenter n'est certes pas vraiment mauvais pour qui souhaite découvrir la psychologie sociale, seulement l'illusion qu'il projette n'offrira pas davantage au complice, que nous sommes, de ces expériences. En faire un biopic était, pour moi, une mauvaise idée. Quitte à réaliser un film et non un documentaire, autant fallait-il se concentrer sur un éventuel sujet et sa vision des choses histoire de nous faire découvrir de l'intérieur tous le cheminement de pensées, les tiraillements et les doutes. Au lieu de cela, l'émotion n'atteint jamais vraiment du fait de notre inébranlable position de supériorité face au commun.