Dans son premier geste comme réalisateur, Viggo MORTENSEN s'empare d'un sujet délicat, car il serait tentant de le traiter avec un pathos alourdissant le propos plus que nécessaire, la sénilité liée à la vieillesse et l'impact de ces troubles neurodégénératifs sur l'entourage et les proches.
Néanmoins le film s'abstient de cet écueil en raison de l'écriture et du développement du personnage central, Willis, vieillard aigri, intolérant, désagréable, réactionnaire, imbuvable à bien des égards mais cependant fragile, vulnérable et plus dépassé par sa condition que vraiment haïssable. L'occasion pour moi de revoir un Lance HENRIKSEN qui m'a beaucoup ému, justement par cette fragilité qui transparait à l'écran, quand j'avais en souvenir des rôles de lui plus physiques, de plus je ne me souviens pas l'avoir vu interpréter d'autres personnages aussi complexes et ce choix de casting est plus que pertinent à mes yeux.
J'ai lu ci et là, des commentaires voulant aborder le film sous le prisme d'une opposition sociétale, la confrontation d'une Amérique WASP traditionnaliste, voire rigoriste, machiste, virilisée, votant républicain, face à une Amérique plus progressiste, tolérante, ouverte, votant démocrate. L'Amérique rurale du "middle-west" qui serait bloquée dans le fantasme des années 50 versus l'Amérique citadine des grandes mégalopoles des côtes est ou ouest. Je pense que c'est une erreur, ou tout du moins que c'est une part infime du propos du film.
De la même façon, je ne pense pas que la question de la déchéance liée à l'âge ou la maladie ne soit non plus la thématique principale développée par Viggo Mortensen. Dans ma compréhension et ma réception du film, ce qui ressort est pour moi la question du lien filial.
Cet étrange lien qui unit à jamais un enfant et sa mère ou ici son père. Ce lien qui peut se distendre, parfois se rompre, qui est bien souvent conflictuel, qui doit s'émanciper et qui dans des cas extrêmes peut être source de souffrance absolue, mais qui ne peut jamais complètement disparaitre. Une scène en particulier tend à prouver ma théorie, celle du repas réunissant Willis, ses deux enfants, le mari de John son fils et ses petits enfants, d'abord il y a l'absence du beau-fils retenu par un alibi qui nous fait dire comme spectateur qu'il n'a pas souhaité supporter un tel être, viennent ensuite les réactions des autres membres de la famille, là où fils et fille restent dans le "prendre sur soi" le pardon, la bienveillance, malgré les évidentes peines et douleurs que cela engendre, les autres ne font mystères ni de leur agacement, ni de leur frontale opposition, car déjà d'un grand parent à un petit enfant et à plus forte raison d'un parent à un beau-fils ou une bru ou qu'importe ce fameux lien filial n'est plus.
En réalité en regardant ce film, je pensais à ma relation conflictuelle et compliquée avec ma mère et je comprenais pourquoi, malgré le caractère odieux de ce père, caractère qui ne saurait être pardonné ou totalement expliqué à la lumière de sa maladie dégénérative, le fils continuait à entretenir ce lien, peut-être de façon inconsciente et je me disais, quelque chose auquel j'ai déjà pensé, à savoir lorsque viendra dans un avenir plus si lointain la question d'accompagner la fin de vie d'un parent, on aura beau avoir été en conflit, on aura beau avoir des griefs et des profonds reproches, ce lien si fort prendra le dessus et on fera ce qui nous semble juste.
De là en filigrane le film pose pour moi une autre question, plus brutale, la nécessité de la disparition des parents pour enfin s'en émanciper totalement, ne plus se sentir redevable de quelque chose ou devant agir en fonction d'un héritage, d'une éducation, de la peur d'un regard ou d'un jugement.
Pour un premier essai j'ai trouvé Mortensen plus que convainquant, quelques faiblesses, notamment quelques redondances qui auraient mérités d'être élaguées ou remplacées par d'autres axes de narrations ou de questions laissées en suspend, le film m'a touché sans doute d'avantage pour les raisons développées plus haut que par sa plastique ou son formalisme, mais c'est aussi ça pour moi un film réussi, un film dans lequel je vais projeter une part de moi, relevant de l'intime, que je serai le seul à recevoir ainsi mais qui a fonctionné pour cela justement et précisément.