J'ai fait un rêve. Où était-ce un cauchemar ? En tout cas j'étais végétarien. Jusqu'ici, pourquoi pas. Nous nous étions rencontré dans le quart de rayon des légumes bios du Lefoncé de Pouilly-sur-Yvette. Elle était belle avec cette botte de carottes prête à être pesée dans une main, poussant de l'autre cette magnifique invention qu'est le panier-charriot, voiture sans permis des grandes-surfaces. Belle. Pétillante. Après un bref échange, jouant de mon atout séduction principal (le calembour), j'osais, tel un quarantenaire rétrograde, lui demander son numéro de téléphone. Elle n'avait ni Instabook, ni Facegramme et encore moins Qweeter, la célèbre application pour se mettre en scène bourré. J'aurais pu y voir un point commun avec mon âge et mon adoration pour ces magnifiques inventions qu'étaient le mini-disc et le minitel sans penser une seule seconde, alors que je la voyais payer en liquide quelques minutes plus tard, qu'être absent des réseaux sociaux pouvait de nos jours laisser penser qu'elle avait quelque chose à cacher.
Il est vrai que les rencontres en ligne me laissait de plus en plus un goût amer, entre les "asv" comme on te demande ton pédigré et les "tu veux voir ma chatte ?" qui débouchent inévitablement sur la photo d'un félin dans une quelconque position improbable, souvent bien avant que je n'ai le temps de répondre. Elle n'avait d'ailleurs aucune carte de fidélité ce qui pouvait en dire long sur ses relations passées mais, fuck it, je me lançais.
Notre histoire démarra comme un conte de fée, à tel point que tout me semblait bien trop beau. Elle me trouvait différent. Je la trouvais belle, pétillante et; Fléxitarienne. Elle ne mangeait des produits d'origine animal que les mois pairs. Nous étions en mai, à l'Eléphantamus, et le succulent travers de porc qui me faisait tellement envie venait de se prendre un léger coup derrière la tête.
Que les mois pairs. Judicieux et diablement bien calculé puisque selon ses mots, alors qu'elle avalait la première bouchée de son burger végé, "en décembre, faut pas déconner, y'a quand même Noël et le nouvel an, [mache] et le gavage des oies, c'est bien beau mais le foie gras, c'est bien bon. [avale] Et puis en août, c'est mon anniversaire. Pas question de manger un gâteau à la farine de quinoa. Tu sais les ravage que ça produit en Amérique latine ? Et en plus, faut que ça se sache mais c'est dégueulasse." Je buvais sa franchise entre deux gorgées d'une Chimust triple fermentation.
Ses yeux pétillaient plus que le Sbrite sans sucres mais plein d'aspartame qu'elle descendit d'une traite. J'étais sous le charme.
"Et puis merde ! J'ai une maison isolée sur les hauteurs de la ville, en pleine forêt. Bon, y'a pas le wi-fi mais t'as l'air d'un mec bien et..."
Elle se passa langoureusement la langue sur les lèvres.
"Ca te dit qu'on y aille ce soir, j'ai comme une envie de te connaître plus en profondeur ? Par contre, je suis un peu fatiguée donc, si ça ne t'embête pas de conduire. J'ai pris l'Aston Martin et elle est un peu capricieuse."
Ca sentait le piège, ce genre de piège dans lesquel on a envie de tomber.
Fresh
Oui, les préliminaires étaient un peu long mais ils témoignent de cette idylle naissante. Car Fresh démarre comme une comédie romantique des temps modernes, entre applications de rencontres et désillusions jusqu'à ce que l'impensable se produise, au rayon fruits et légumes de la supérette du coin, dans la vraie vie. Noa, désabusée et presque résignée à vivre une vie de célibataire, tombe sur Steve. Drôle, souriant, simple, presque timide. Elle baisse sa garde et l'amour s'infiltre doucement dans son quotidien. Elle vit un rêve et se remet à y croire, doucement. Tout est trop beau d'ailleurs, presque parfait et sa meilleure amie se méfie. Mais elle y croit. C'est peut-être sa seule chance. Et d'un coup de tête à un autre, elle accepte de partir en w.e avec lui.
Elle faisait un rêve, où peut-être était-ce un cauchemar.
Le titre est lâché après presque une demie heure et notre bel Appolon avoue en toute décontraction ses horribles desseins. Son business bien rodé se mêne dans la joie et la bonne humeur et la faim de ses clients exige une obligation de moyens aussi matériels qu'immatériels. Finalement, Pineder, c'était peut-être pas si mal comme application, quitte à considérer l'autre comme un bout de viande.
Mimi Cave réussit pour son premier long métrage à faire le grand écart et à nous secouer tout autant qu'elle avait réussit à nous mettre en confiance. Les véritables intentions de Steve et son détachement face à ce filon culinaire qu'il exploite, sa relation pas si avortée que ça avec Noa laissent un soupçon d'humour noir bienvenu et quelques scènes s'avèrent savoureuses lorsque nos deux protagonistes agissent avec le détachement le plus total, feint ou non.
Si bien sûr, une fois les masques tombés, le déroulement reste assez conventionnel, on grignote les minutes sans jamais s'ennuyer, avec l'espoir
récompensé
de voir cet escape game anthropophagique se libérer complètement dans son dernier acte.
Mimi Cave signe un film aussi rebutant qu'appétissant, un film frais à l'horreur proprette et presque guillerette où les désirs les plus sombres se parent de leurs plus clinquants apparats, où la faim justifie non seulement l'obligation de moyens, mais aussi de résultats.
Bon appétit.