Plein de raisons de défendre ce film ; tellement plus, malheureusement, de le critiquer. Gueules noires est vraiment le cas d'école typique du film de genre français contemporain qui n'a pas su enchérir après l'âge d'or des années 2000, en se fourvoyant dans un mélange gênant de passion et d'approximation. C'est un film montrant à tout instant une difficulté manifeste à se faire une place dans un paysage national qui n'est vraiment plus du tout dominé par l'horreur ou le thriller, et qu'on sent de nouveau être approché avec frilosité par des équipes artistiques un peu paumées. En dépit, donc, de bonnes idées, d'intentions louables, de celles mêmes qui pavent l'enfer et visiblement, aussi, les mines, Gueules noires m'en a filé une autre ; de bois, celle-ci.
Les bonnes idées existent, en nombre même. A commencer par un casting de contre-emplois à la Boukhrief, qui fait resurgir des acteurs qu'on perdait l'habitude de voir au cinéma, et qu'on n'avait jamais vu dans le genre. A ce niveau, le film y va franchement en rassemblant, méconnaissables, Thomas Solivérès (Spirou), Bruno Sanches (proche collaborateur d'Alex Lutz et Liliane de "Catherine et Liliane"), et offre un caméo à Philippe Torreton en plus de balancer son gros morceau, alias Jean-Hugues Anglade dans un rôle central. Il surprend jusque dans son équipe artistique au sens large avec un certain Olivier Derivière à la musique, très connu pour son travail dans les jeux vidéo français et internationaux depuis près de vingt ans (Alone in the Dark, Obscure, A Plague Tale, Dying Light 2...) qui s'essaye pour la première fois au cinéma.
On doit aussi reconnaître au réalisateur une certaine confiance en des effets spéciaux artisanaux qui trouvent une forme de charme, et d'efficacité, dans leur côté bricolé. En témoignent non seulement les maquillages et costumes tout-à-fait réussis, mais aussi, et surtout, l'antagoniste du film. Créature lovecraftienne mi-animatronique mi-cosplay, elle est à la fois un peu cheapos et bizarrement séduisante, notamment grâce à la façon dont elle est parfois filmée, frontale et sans esbroufe, au milieu d'une pénombre accentuant son aspect inquiétant. Et les louanges ne seraient pas complètes sans citer les excellentes scènes gore qui, surtout en toute fin de métrage, envoient un pâté dont n'aurait pas rechigné à se bâfrer le Peter Jackson de Bad Taste : même si c'est un peu tardif, le film présente tout de même l'une des scènes de décapitation les plus cradasses de l'histoire récente du genre, qui fait que les déviants les plus hardcore (dont je fais partie, et auxquels le film prétend quand même un peu s'adresser à la base) pourront avoir envie, in fine, de le réhabiliter.
Réhabiliter : il faut bien ce mot pour décrire le réflexe le plus tolérant qu'auront la plupart des spectateurs. Car finalement, malgré de belles intentions et une exécution partiellement réussie, Gueules noires se foire au même endroit que l'écrasante majorité de ses copains horrifiques français post-2015. Et c'est, tristement, un endroit où on n'a pas le droit de se foirer. Ceux qui suivent l'évolution béret-baguette du genre y retrouveront en effet les mêmes dialogues éclatés au sol qui, non seulement flirtent avec, mais carrément embrassent à pleine bouche (et avec la langue) un côté involontairement parodique. Les mêmes acteurs dirigés n'importe comment, qu'on voit en direct live lutter comme des pauvres diables pour se convaincre qu'ils ne sont pas en train de réciter des répliques moisies. Si le pauvre Anglade est vraiment l'acteur qui joue le plus mal du film en confinant à une forme de nullité divine, on ne peut pas dire que Le Bihan ni même qu'aucun autre membre du casting s'en sorte réellement mieux. Gueules noires nous convie à ces moments de cinéma maudits où on voit nettement, plein cadre, les acteurs arrêter de jouer au milieu de leur scène, comme brutalement saisis d'un besoin de s'interroger sur leurs choix de carrière.
Bien souvent, l'interprétation et les dialogues, qui constituent ici une part importante du film (sur deux tableaux : une tentative de scénario ésotérique assez complet d'un côté, et une autre de faire vivre les personnages par leurs répliques de l'autre) sont les maillons faibles du film fantastique français moderne. Et c'est très triste que Gueules noires tombe en plein, mais alors en plein, plein, PLEIN dedans, car il invite tant, autrement, à une forme de pardon sincère et désintéressé, que ce soit en raison de son sujet, de ses choix théoriques de casting ou de ses diverses petites audaces contribuant à le rendre sympathique pour un amateur de bis. Je pense donc qu'il faudrait organiser des Etats généraux du film d'horreur français (EGFHF, ça sonne super bien). Un sommet exceptionnel où des dialoguistes, des directeurs d'acteurs et des chefs de casting viendraient secouer les réalisateurs (et réalisatrices) de films d'horreur modernes comme des pruniers en leur expliquant qu'au bout d'un moment, s'ils veulent continuer à faire des films, il va falloir qu'ils apprennent à faire comme les grands.