Habemus Papam ! Scande le cardinal protodiacre sur le balcon de la basilique Saint-Pierre du Vatican. L’annonce, latine, traditionnelle, qui signifie «nous avons un pape» débouche sur l’intronisation de sa papauté qui se présente devant la foule pour saluer ses fidèles. Une coutume qui dure depuis près d’un siècle et n’a jamais connu, sauf exception rare, de désagréments majeurs. Le sacre est tellement bien huilé qu’une question peut légitimement se poser : et si celui ci ne se présentait pas ? Et si le pape intronisé se refusait à accepter la responsabilité papale ? De cette question, Nani Moretti en fait un film, son onzième, qu’il présente comme une comédie dramatique, où la mélancolie se mêle à l’absurde.
Le postulat de base est malin, la question parait simple mais porte une profondeur ontologique qui dépasse les questionnements habituels, de par son lien à Dieu, de par sa complexité philosophique. En cela, Habemus Papam fait penser à l’œuvre de Scorsese, la Dernière Tentation du Christ. Même figure emblématique de la religion, mêmes interrogations existentielles, même remise en question de sa condition d’homme face au devoir métaphysique. Chez Scorsese c’était un Jésus qui doutait de lui même, terrorisé par ce qu’on attendait de lui, tourmenté par son déisme destin. Chez Moretti tout part du même principe, son pape préjuge de ses capacités, se sent incapable de rapporter la parole sacrée à plus d’un milliard de chrétiens. De ce doute le cinéaste en fait une très belle scène où, au moment du vote dans le conclave, les voix intérieures de tous les cardinaux nous sont révélées : que disent-elles ? Elles ne prient pas Dieu, non, elles supplient de ne pas être désignées comme Pape par le Vatican. D’un milieu si solennel, le metteur en scène en tort ainsi tous les clichés et réalise un portrait décalé, anti-dogmatique de la figure du religieux, habituellement discret, taiseux, mystérieux, qui devient, devant sa caméra, un être profondément humain.
Voir apparaître un psychanalyste au Vatican devient du coup moins choquant. On connaît l’attachement du réalisateur à cette figure analytique qu’il moque régulièrement dans ses précédentes réalisations. Si sérieux, si profond, la thématique du film devient dès lors plus légère grâce à ce psy, joué par Moretti lui même, appelé à la rescousse afin de sonder les problématiques de ce nouveau Pape. Les voir discuter au milieu du Vatican entourés d’une cinquantaine de cardinaux curieux de la conversation provoque immédiatement le rire.
Le métrage joue de ses nombreux paradoxes, la psychanalyse requérant de l’intime, ce que le Vatican, lieu renfermé par nature, se refuse à concéder. La situation engendre une confusion indémêlable, l’intime monacal n’étant pas vraiment raccord avec celui de ce psy qui ne peut du coup pas travailler mais reste forcé par les cardinaux, ayant connaissance du nom papale, de domicilier au Vatican. La situation, ubuesque, entraîne de drôles de scènes qui affaiblissent, avec recul, la dramaturgie d’un tel contexte. On aurait aimé que les pistes offertes par le récit soient plus fouillées, davantage traitées, de sorte qu’elles soient les principales directions de l’œuvre. A la place, on alterne le quotidien de ce Pape dépressif à des scènes hors propos où des cardinaux, en attente du rétablissement papale, jouent aux cartes, font des blagues, participent à des tournois de volley-ball en pleine cour du Vatican. Fatalement on rigole, rationnellement on constate que ça ne sert pas beaucoup le récit, encore moins son sujet.
Au delà de ses considérations, l’œuvre renvoie à une actualité récente, celle de son avant dernier pape, Benoît XVI, qui, comme Célestin VI (Michel Piccoli), s’est détaché de son affiliation à Dieu en se décidant à respecter sa condition, précaire, d’être humain. La situation racontée par Habemus Papam est différente mais part de la même comparaison, inévitable, que l’homme se fait face à ses responsabilités théologiques. Le débat a lieu d’être posé, Morretti n’approfondit pas particulièrement ce point mais lorsqu’un Pape est élu, il est censé l’être à vie. Dès lors, comment interpréter les renoncements face à une tâche censée être éternelle. Dans le même ordre idée, que penser de ce Pape de fiction qui se rebute à assumer son rôle dès l’élection avalisée ? Autant de questions qui ne trouveront que peu de réponses de la part d’un cinéaste préférant jouer du paradoxe entre l’absurdité de situation et le caractère communément monacal, discipliné, de l’univers religieux. Heureusement, passé ses défauts, il y a Michel Piccoli. Sa performance en tant que Célestin VI frôle la perfection. Tantôt mélancolique, touchant, drôle, exaspérant, l’acteur offre une palette variée, cohérente du personnage qu’il interprète. Absolument bluffant.
Par ces choix narratifs, Habemus Papam se prive d’être le grand film qu’il aurait dû être. Trop attentif à placer le saugrenu au cœur de son émouvante histoire, Moretti passe à côté du grand drame humain qui l’aurait consacré, notamment à Cannes, où il fût présenté. De ce fait, une question se pose : est-ce vraiment Célestin VI qui refuse la grandeur ou bien son intime créateur ?