Gigote au gibet scélérat
Tes entrailles souillent le pavé
Contemple la lune et le ciel étoilé
Regarde la vie s'échapper de toi.
Hélas, mes heures d'errance prennent fin. Et j'aurais détesté ne pas te donner de mes nouvelles après tant de temps à penser à toi. J'accompagne ceux qui ont croisé ma route, rares sont ceux à s'immiscer dans ma tête et à y vivre encore des années. J'ai pensé à Baltimore et à son Philharmonique. À ce piètre flûtiste qui avait pourtant des ris excellents, succulents. J'ai pensé à Mason, cette exécrable pâtée pour chiens et puis j'ai pensé à toi.
J'ai retrouvé le vent, Clarisse. Il attendait que je revienne pour danser avec moi. Ami fidèle, il m'a attendu. Je lui en sais gré tant il m'avait manqué.
Malgré moi, mon cœur s'en retourne vers mes années de captivité. Où j'ai passé tant d'années à construire mes palais perfection, aux dorures éclatantes, aux sirops mélodieux des sonates qui berçaient l'alentour. J'étais une bête observée par des universitaires ou par les plus grands médecins spécialistes du labyrinthe du cerveau. Agacés, fascinés, effrayés. Je les entendais psalmodier, Clarisse, oubliant qu'ils n'atteindraient jamais la valeur que j'accorde à mon ombre. Devaient-ils espérer, m'analysant. Sache que la poussière a plus d'importance à mes yeux que la limace humaine.
J'ai survécu en reconstituant le monde dans ma tête. Il était vaste, mon monde, tortueux et baroque, tellement plus beau que celui des hommes. Il faisait se confondre les souvenirs d'une vie à s’enivrer des beautés qui jalonnent le chemin, des odeurs qui égaient l'espace d'un instant et ramènent en cortèges ce que tu pensais enfoui, oublié. Et tu vas rire, certainement, tu trônais au milieu, Clarisse, déesse impie de mon amour désespéré. Mais le vent, Clarisse, je m'en suis rendu compte bien tard, quand il fouetta mon visage à dire vrai, après tant d'années. Rien n'arrive à représenter le vent en pensées. Rien pour être une brise qui chante à tes oreilles et te fait sentir vivant et libre.
J'ai revu Paris, Clarisse. J'ai revu Florence. Et rien ne bouge vraiment, au fond. Il y a des lieux que les années n'abîment presque pas, juste un voile de poussière. Ils restent traversés par les vies, les joies et les peines, les amours et les haines, qu'ils ont vus défiler. Au fond, il n'y a rien au monde qui ne me ressemble plus que Florence. Belle et cruelle à la fois, érudite et précieuse. Elle pendait nus ses assassins aux fenêtres des palais, il n'y a pas si longtemps. Ils s'agitaient, ridicules oripeaux de chair abandonnés des dieux. Belle, cruelle et insatiable aussi.
Chacun sa place, la mienne est au sommet de la pyramide, tout en haut de la chaîne alimentaire. Pour y rester, pour faire valoir mon rang, je me dois de ne pas faire les mêmes erreurs. On s'impose une discipline, des règles à respecter. Il faut être méticuleux, toujours défiant. Mon crâne en trophée n'ornera nul château. Ne rien laisser derrière moi, pas même un souffle. Se fondre, me fondre, passer inaperçu et devenir nuage, volutes de fumée, évanescence.
Je me suis nourri de toi, tu sais. Ton image a suffi, le son de ta voix, j'en salive encore, confirmant l'étincelle qui t'avait posée sur mon chemin. Pour que je puisse me repaître de toi. Tu étais belle, Clarisse, je t'imagine femme aujourd'hui et je suis sûr que les années te vont bien. Comme il est doux, certains soirs, de penser à mes doigts sur ta peau, caressants. De poser sur tes paupières un baiser si léger que pas même un frisson ne viendra agiter. Et du bout de ma langue, goûter ta peau. J'en devine le sel et j'en suis saoul.
Nous nous reverrons bientôt. Maintenant que tu peux t'abandonner à l'amour réciproque. Je sais que tu sais qui je suis. Qu'il est doux d'être nu aux yeux de celle qu'on aime. Je m'abandonne au vent et je viens te rejoindre, ma douce.
À tantôt.
Hannibal Lecter.
PS :
Regarde le vent Clarisse, il peut décrocher les étoiles.
H.