Je lis des critiques sévères de personnes qui n'ont pas aimé ce qui, précisément, à moi m'a plu. Certains ne voient qu'enflure ou banalité là où j'ai perçu de l'ambition et un souffle épique. Ce n'est pas sans m'étonner de ce grand écart que je me lance dans cette petite critique enthousiaste.
On ne présente plus Danse avec les loups, classique, chef-d'œuvre même, pour moi le mot n'est pas usurpé, qui a fait que dans notre conscience collective Kevin Costner n'est pas qu'un acteur. C'était en 1990 et c'est l'époque où, avec Impitoyable d'Eastwood (1992, lui), le genre quasiment moribond du western, du film sur l'Ouest, est ranimé, questionné, porté à l'écran pour nous interroger sur l'âme américaine.
Ce name dropping pour situer l'enjeu : trente ans plus tard, Costner nous promet une saga, et son premier volet doit nous convaincre assez pour qu'il puisse mener à son terme son entreprise de faire quatre films.
À ce stade ce n'est plus de l'ambition, c'est de la démesure.
Pour ma part je l'ai dit j'ai aimé. Ça va même plus loin : j'ai vibré devant des scènes extrêmement tendues, denses, où effectivement se réinvente une esthétique, celle du Far West, de la frontier. Dans leur tentative de conquête de l'Ouest, des colons ordinaires, lestés d'enfants et d'espoirs, âpres à la tâche, tombent, victimes d'une guerre sans nom : celle que les Apaches mènent contre cette tentative de settlement sur leurs terres, de fondation d'une ville, cette Terre promise du nom d'Horizon. Mais qui l'emportera, des jeunes Apaches qui se dressent ou du flot incessant des colons ?
J'en vois qui parleront aussitôt de manichéisme. Il n'en est rien à mes yeux. Même en mettant en scène — une scène très rude, très belle aussi, chorégraphiée comme rarement j'en ai vu au cinéma de longue date — une attaque d'Apaches contre une communauté de colons, Costner ne semble pas prendre parti : il filme l'inexorable, ce qui ne peut être empêché, ne saurait être évité.
Depuis quand n'a-t-on pas vu représentée à l'écran une telle histoire de la colonisation US et de son coût humain ? Et que cela sonne juste.
Ce n'est là qu'un des arcs narratifs, le premier. L'action se déroulera dans trois États américains (que malheureusement je n'ai pas retenus). Évidemment les intrigues vont se croiser. Dans l'une d'elle, Kevin Costner himself incarne une espèce de marchand, chercheur d'or venu vendre sa production en ville, et qui cache certainement autre chose sous cette façade. Il y croisera des brutes, une fille de joie, devra fuir le danger.
Il n'est pas un moment où je me sois ennuyé devant des personnages stéréotypés : il y a plutôt un effet de citation, de pastiche respectueux d'œuvres mythiques, celles de personnages issus de la mythologie du western, revisités.
La question qui se pose devant un tel dispositif narratif et dramatique, est bien évidemment celle de la comparaison avec une série. Après tout, que peut faire un film, et même une tétralogie, face au pouvoir des images des Netflix et consorts ? La créativité n'est-elle pas désormais du côté des écrans domestiques, et non plus dans les salles ?
À mes yeux — et je revendique, j'assume cette subjectivité —, le pari est relevé parce que Costner, justement, sait faire fond sur cet univers de l'Ouest qu'il arpente depuis des décennies, qui est manifestement celui de ses rêves.
Je ne veux pas me réfugier dans le verbiage lyrique mais il me paraît difficile d'évoquer les scènes les plus réussies, sans risquer d'aussitôt spoiler. Que se passe-t-il quand les survivants du massacre initial se lancent dans une expédition punitive, où les seuls bons Indiens sont des Indiens morts ? Quand l'une d'entre eux, veuve, est accueillie avec sa fille dans un régiment de cavalerie ? Que se passe-t-il quand on a affaire à un ruffian psychopathe, manifestement pas gêné d'enquiller les morts toute la journée ?
Pour moi, donc, il se passe qu'une forme de tension dramatique — nul meilleur mot que celui de tension pour évoquer l'un des ressorts constants du film —, de nécessité narrative prend corps à l'écran et déjoue nos attentes, ou du moins, vient jouer avec elles.
Il se passe que devant les séquences finales, qui sont une manière de bande-annonce pour la suite, on se prend à espérer, un peu impatient, que le feuilleton continue : pas tant série Netflix, ou HBO (Westworld), formatée pour les cliffhangers, que récit à l'ancienne, roman, pulp peut-être — mythologie je vous dis.