Et de dix l’air de rien…
Les années défilent et Quentin Dupieux enchaine.
Désormais c’est presque tout les ans qu’on a le droit à un nouveau long-métrage de sa part, au point qu’on y prendrait presque ses habitudes.
C’en serait même déroutant pour quelqu’un qui, comme moi, suis l’auteur depuis ses quasi-débuts. Le cinéma de Dupieux, par essence, c’est du cinéma déroutant ; du cinéma du contrepied permanent ; du cinéma inattendu…
…Mais que reste-t-il justement d’inattendu face à un cinéma où on commence à prendre (et trouver) ses habitudes ?
Ce serait presque la force comme la faiblesse de cet Incroyable mais vrai d’ailleurs…
Dès les premières minutes on y retrouve toutes les petites manies de l’auteur : pas mal de plans larges, musique électro dépouillée et un brin fofolle, photographie laiteuse, peu de mobilité mais pas mal de ruptures, postulat de départ qui flirte rapidement avec l’absurde…
…On est en terrain connu.
Mais ce qu’on perd en déstabilisation je trouve qu’on le gagne en aisance et en souplesse. Car contrairement à des films comme Au poste, Le Daim et Mandibules dans lesquels on sentait que Quentin Dupieux cherchait à marquer une rupture avec son cycle californien – avec des fortunes que je qualifierais de « diverses » ^^ – Quentin Dupieux semble ici assumer de faire machine-arrière pour revenir aux fondamentaux.
Ainsi la seule présence d’Alain Chabat – de même que le rôle qu’il campe – apparaissent comme tout un symbole des intentions du maître sur son dixième film.
Dans la lignée de Réalité, le personnage principal n’est qu’un brave type qui s’efforce de réagir et d’interagir sensément face à une situation et un entourage qui eux ont sombré dans un absurde qui ne semble plus étonner personne à par lui-même…
Et l’air de rien, à naviguer ainsi dans un terrain où il a davantage ses aises, Dupieux peut dès lors se permettre quelques subtilités nouvelles, comme celle consistant à moins s’appuyer sur la surprise mais davantage sur le mystère, ou bien encore celle consistant à jouer d’un léger suspense autant que d’absurde.
Mieux que ça encore, sûr de ses appuis, Dupieux se risque même à développer un début de satire ; domaine dans lequel on serait pourtant en droit de penser qu’il ne s’y sentirait pas à l’aise.
Or à bien considérer la première demi-heure – voire toute la première moitié – de cet Incroyable mais vrai, l’équilibre trouvé entre tous ces ingrédients parvient à générer, au-delà de la farce absurde à laquelle nous sommes tous habitué, un sentiment dont on est beaucoup moins coutumier chez Dupieux : de l’intrigue.
Mais malheureusement, comme annoncé, l’étrange et surprenante promesse ne tient pas sur la longueur, un peu comme jadis s’essoufflaient des Rubber et des Wrong.
Passé un certain temps, l’intrigue ne s’enrichit plus de nouveaux éléments. Les gags finissent par se répéter, le propos tend à forcer la ligne au point de la rendre grossière, et l’intrigue quant-à-elle sombre lentement dans un délitement qu’on ne connait malheureusement que trop bien avec cet auteur.
Est-ce à dire pour autant que Incroyable mais vrai est une belle intention qui ne tient pas ? Pour moi oui, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elle aboutisse à un film loupé.
En fait ce film est un petit peu à l’image de l’entrejambe du personnage principal. Certes il y a n’y a rien de frais, d’électronique ni de fantastique là-dedans, mais quand bien ce serait vieux et un brin fripé qu’au moins c’est authentique et que ça fait le boulot qu’on lui demande quand c’est nécessaire.
Pour moi Incroyable mais vrai tient finalement à ça.
C’est vrai que ce n’est pas un membre de compète ; bijou de jeunesse ou de technologie susceptible de nous envoyer au septième ciel grâce à une exécution technique de haute volée…
Disons plutôt que c’est davantage une demi-molle, mais une demi-molle charmante. Une demi-molle qui est contente d’elle-même. Et une demi-molle qu’on se met à aimer en retour parce qu’elle se présente comme une singularité qu’on a fini par apprécier comme telle.
Et quand je me dis que Dupieux approche de la cinquantaine,
Je m’imagine que, à force de vieillir et de l’assumer,
L’Oizo pourra nous sortir quelques pépites par dizaine,
Et que, faute de vigueur, il saura désormais par quoi compenser…